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LEÇON DE VOCABULAIRE

 

LE CLOU DU SPECTACLE

 

 

Chaque lundi après-midi, Monsieur nous conviait à une leçon de vocabulaire. Il fixait sur le tableau une gravure illustrant des scènes de la vie quotidienne (Les animaux de la ferme, la place du village, l’usine ou le cirque, par exemple) et nous invitait à la commenter.

Je me souviens de la gravure sur les vendanges avec ces ceps tordus, ces vignes aux sarments noueux et ces pampres vrillés (ce sont les mots que j’ai retenus). Me revient surtout en mémoire le sourire éclatant des jeunes filles dont les hottes débordaient de grappes de raisins verts.

 

Parfois, Monsieur rapportait des objets de chez lui pour qu’on puisse les observer de visu. Ce jour-là, il débarqua avec une superbe caisse à outils bleu foncé. Tel un magicien sortant de son chapeau des objets insolites, il sortit de sa boîte les outils, un par un. On devait les nommer, les décrire et deviner leur utilité. Sûr que Monsieur n’avait pas dû les manipuler beaucoup, vu que les manches tout neufs et tout propres portaient encore l’étiquette avec le prix dessus ! (rien à voir avec les outils de l’oncle René, abîmés par l’usage).

J’en conclus que Monsieur ne devait pas être un grand bricoleur. J’en eus vite la confirmation car, après avoir brandi un marteau d’une main, tel un trophée de chasse, il nous convia à une petite démonstration. Mur trop dur ou clou trop mou ! On ne le saura jamais. Toujours est-il que clou se tordit d’un seul coup et que le marteau ripa sur ses doigts. Notre bricoleur du dimanche  (pas au mieux de sa forme) lâcha prestement l’engin qui s’écrasa sur le plancher dans un bruit de fer assourdissant.

Monsieur fronça les sourcils, se gratta le menton et s’en tira par une pirouette (lui qui n’était pourtant pas un grand sportif), en nous prodiguant ce précieux conseil :

- Vous voyez, il faut faire très attention quand on manipule des outils car le bricolage réclame précaution, précision et adresse.

- Surtout quand on n’a pas l’habitude, surenchérit Cucu (à voix basse, bien entendu), visiblement ravi que pour une fois Monsieur se fasse taper sur les doigts.

En tout cas, c’est vrai que l’habitude faisant l’habileté, on imaginait mal Monsieur en salopette en train de percer, poncer, râper ou raboter. Ses mains fines et délicates renforçaient cette impression (rien à voir avec les mains calleuses des gens de la terre). Conséquence de sa maladresse : sur le coup, il éprouva les pires difficultés à tenir sa craie et le lendemain, l’ongle de son pouce était devenu aussi bleu que le bleu de sa caisse à outils.

 

En fin de séance, il nous présenta une scie.

- Quand on scie un bout de bois, on ne scie jamais assis mais debout, précisa-t-il (je ne sais pas si le conseil vous sied, mais essayez de scier assis, c’est pas facile et c’est inconfortable. Si, si !).

- Quand on scie, il faut faire très attention et être précis dans le geste, ajouta-t-il. Puis, en sourcillant, il fit comme si.

Croyant qu’il allait nous refaire le coup du clou mais avec la scie, cette fois-ci, on se mit à craindre pour sa main toute entière mais il remit à plus tard sa démonstration. Tant mieux car même avec des scies, on n’aurait pas fait de Monsieur, un grand menuisier. Ca crevait l’oeil qu’il n’était pas fait pour manipuler ces instruments de torture.

 

Je dois dire que je n’avais pas beaucoup à lui envier car je maniais très mal l’équerre et le compas. D’ailleurs, la frise et les rosaces qui ornaient, chaque samedi, la dernière page de mon cahier du jour,  frisaient souvent le… ridicule. Même au jeu du Meccano, je ne valais pas un clou ! Alors franchement, moi je dis : « Chapeau, Gustave, d’avoir construit la tour Eiffel parce que visser 2 500 000 rivets et assembler les 18 000 pièces qui la composent, faut être fortiche. » Moi, j’aurais carrément fait appel à Gulliver. Ne me parlez pas non plus des maquettes d’aéromodélisme à construire. Une horreur !

Encore aujourd’hui, je suis allergique au bricolage et à la mécanique. Rien que pour changer une roue de voiture, c’est panique à bord. Que voulez-vous : enfiler un bleu de travail, mettre les mains dans le cambouis ou plonger le nez dans le moteur d’une bagnole, c’est au-dessus de mes moyens. De toute façon, j’ai l’air bizarroïde en salopette. On dirait qu’à l’intérieur, c’est pas moi. A dire vrai, je ne sais pas faire grand-chose de mes dix doigts et je m’en fiche un peu. Certains le font pour moi et cent fois mieux que moi.

Tenez, y a un métier manuel qui m’impressionne et que je serais incapable d’exercer, c’est colleur d’affiches. Voyez avec quelle rapidité et synchronisation, les colleurs d’affiches déploient leurs bandes et les collent (à l’aide d’une perche flexible). Moi, je mettrais au moins une heure pour les poser sans pour autant me dépêtrer de cette glue aussi collante que la glue des rubans des mouches, vous savez, celle qui vous scotche les cheveux.