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RECITATION
Dès l’aube, à l’heure où blanchit la
campagne
Je partirai. Vois-tu, je sais que tu
m’attends.
J’irai par la forêt, j’irai par la montagne,
Je ne puis demeurer loin de toi plus
longtemps.
Notre bourreau Victor Hugo n’avait pas écrit que des dictées, il avait aussi
composé des récitations que nous devions apprendre par cœur et déclamer devant
toute la classe (en prévision du Concours de Diction qui rassemblait les
meilleurs élèves du Canton à la fin de l’année scolaire). Au hit parade des
auteurs, avec Victor Hugo, La Fontaine arrivait largement en tête avec ses
tubes hyper connus : Le Corbeau
et le Renard, Le Lièvre et la Tortue, Le Chêne et le Roseau et
C’est vrai qu’elle faisait peine à voir, cette misérable cigale frigorifiée
et congelée, quémandant piteusement un peu de nourriture chez la fourmi, sa
voisine. Chaque Noël, à la télé (dans un des nombreux dessins animés, présentés
par Pierre Tchernia, elle bravait les bourrasques de neige, tambourinait à la
porte de ces petites radines qui la lui claquaient au nez, en la priant d’aller
danser. Moi, je veux bien que les fourmis bossent comme des malades, qu’elles
se retroussent les manches du matin au soir (et même le dimanche et sans jamais
s’asseoir) mais quand même : un petit morceau de… vermisseau, c’était pas
la mer à boire (ni même le Pérou). Un morceau de vermisseau ? Objection,
votre honneur. La Fontaine, il a juste oublié (ou il sait peut-être pas) que la
cigale n’est pas carnivore. Elle se fiche pas mal des vermisseaux, vu qu’elle
ne suce que la sève des plantes. Ah ! Il a aussi oublié que si elle chante,
c’est pas non plus par oisiveté mais c’est
pour appeler l’amour. Oh ! En plus, la cigale meurt avant l’hiver. Pas de
pot, il a tout faux le Jeannot. Mais c’est pas grave parce que
Moi, La Fontaine, je l’aimais bien parce qu’il donnait la parole aux
animaux et même aux choses de la nature avec, très souvent, une leçon de morale
en guise de conclusion, du genre : « rien ne sert de courir, il faut
partir à point » ou encore : « un tiens vaut mieux que deux tu
l’auras ». La Fontaine, c’était rien que du bon sens, celui qui
caractérise aussi les gens de la terre qui préfèrent souvent la discrétion des
roseaux à la vanité des chênes.
Dans ses fables, un rusé renard flattait un corbeau pour
lui chiper son camembert. Une tortue, allant son train de sénateur,
franchissait la ligne d’arrivée en vainqueur et battait un lièvre à la course. Une
grenouille envieuse et présomptueuse tentait de se faire aussi grosse qu’un
bœuf. Un lion traitait de chétif insecte un tout petit moucheron.
Encore heureux,
tous les animaux de
Voyez comment
le loup, déguisé en mère-grand, répond au Petit Chaperon rouge :
- Mère-grand
que vous avez de grandes dents.
- C’est pour
mieux te manger mon enfant.
Voyez aussi comment Le Chat Botté,
baratineur à souhait, use de sa parole pour mystifier le bon Roi et la
belle Princesse au profit de son maître qu’il a nommé lui-même : « Marquis
de Carabas ».
Nous, des animaux qui parlaient en vrai, on en voyait aussi à la télé.
Saturnin, par exemple. Les Aventures de
Saturnin faisaient penser aux fables de
De temps en temps, Monsieur nous proposait les poèmes d’illustres
inconnus (un peu barbants) comme José-Maria de Heredia ou bien des textes
plutôt sympas comme La chanson des
escargots qui vont à l’enterrement en automne, qui prennent leur temps
et n’arrivent qu’au printemps (faut dire qu’avec sa pathétique vitesse de pointe
à
J’ai mis mon képi dans la
cage - et je suis sorti avec l’oiseau sur la tête - Alors - on ne salue plus -
a demandé le commandant - Non - on ne salue plus - a répondu l’oiseau - Ah bon -
excusez-moi je croyais qu’on saluait - a dit le commandant - vous êtes tout
excusé tout le monde peut se tromper a dit l’oiseau.
Quelle que soit la poésie choisie, on commençait par la recopier sur
notre cahier de récitations à l’encre violette avec la plume dorée sergent-major en soignant les pleins et
les déliés. On s’appliquait à dessiner les majestueuses majuscules qui trônaient
au début de chaque vers avant d’illustrer le texte par un dessin sur la page de
gauche. Lulu accueillait ce moment avec soulagement. C’était un répit d’une heure pour
lui (et pour nous).
Quand approchait l’heure de la récitation, ce n’était plus la même chanson.
Chacun tentait de se rendre le plus insignifiant possible pour éviter de croiser
le regard sadique de Monsieur qui cherchait sa proie avec une avidité non dissimulée.
Lulu disparaissait dans ses chaussures, Dudu plongeait le nez dans sa serviette
et Cucu se cachait derrière son petit doigt. Moi, j’aurais bien voulu être le
fils de L’Homme Invisible mais j’étais
le fils de mon père ! Et ça se voyait comme le nez au beau milieu de la
figure du Général de Gaulle. Monsieur patientait puis fixait son index sur l’un
d’entre nous. Parfois, le couperet ne passait pas loin. Parfois, c’était en
plein dans le mille. La présumée victime écarquillait les yeux, marquant silencieusement
son étonnement : « Moi ? » Il arrivait que Monsieur,
cynique, hoche la tête négativement et désigne du doigt, l’heureux élu, placé
derrière. Ce dernier jetait un dernier coup d’œil sur son cahier avant
d’entreprendre le long chemin de croix qui le menait jusqu’à l’estrade. Sa
hantise était de tomber en rade en pleine récitation (la nôtre aussi). Fallait
bien que ça arrive un jour. Aujourd’hui, c’est mon tour.
Pour faire le portrait d’un
oiseau - peindre d’abord une cage - avec une porte ouverte - peindre ensuite quelque
chose de joli - quelque chose de… heu…
Ça y est : trou noir. Trou de mémoire. Le vide, le gouffre,
le néant. Rapidement, l’estrade se transforme en échafaud. Alors, prier en
silence pour qu’un miracle providentiel et salvateur interrompe le
calvaire. Un événement subit. Cataclysmique. Apocalyptique. Une épouvantable catastrophe.
M’en fiche. Un raz de marée. Une secousse sismique. Une irruption volcanique. Un
cas de force majeur qui puisse mettre un terme à cette horrible humiliation. Tenez,
le déclenchement de la troisième guerre mondiale, avec le bombardement sur-le-champ
de l’église d’Achicourt, histoire de satisfaire en même temps Bénoni (je vous
expliquerai). Ou alors espérer la visite inopinée du maire (hypothèse plus
réaliste et beaucoup moins meurtrière). Faut dire qu’il ne fallait pas trop
compter sur un malaise de Monsieur et, un arrêt cardiaque de Lulu, je ne le
souhaitais pas vraiment. Cette fois là, le salut ne vint pas. A la fin de la
récitation, la note tombait comme un couperet. Selon la prestation, on repartait
léger ou anéanti pour la vie (enfin presque, faut pas exagérer non plus).
D’après Monsieur, pour bien figurer au palmarès du Concours de diction,
trois règles s’imposaient. Primo : avoir une bonne diction (« Garçon,
la diction ! », s’amusait-il à dire). Deuxio : respecter la ponctuation.
Tertio : mettre de l’intonation et de l’émotion. J’en rajouterais une
quatrième : avoir une mémoire d’éléphant.
Monsieur se souciait beaucoup du respect de la ponctuation. « Une
respiration mal assurée après une virgule peut prêter à confusion », martelait-il,
et de citer toujours le même exemple qui provoquait les ricanements de
toute la classe : « Le boucher fait partie de ces gens, bons vivants »
qui, sans le respect de la virgule, pouvait laisser penser que le boucher était
un… jambon vivant (encore que ça n’était pas tout à fait faux avec Monsieur
Durieux, tout potelé et tout empâté (de campagne) !
Pour la petite histoire, c’est en récitant le poème : Le Dormeur du Val d’Arthur Rimbaud que j’ai
obtenu le 1er Prix au Concours de Diction 1966 (j’ai encore le Diplôme
au cas où vous voudriez vérifier).
Ce qui est bien avec Les Prix,
quand vous les obtenez, c’est que ça embête au moins tous ceux qui ne vous aiment
pas. C’est déjà ça. Comme récompense, j’ai reçu un livre, à la couverture rouge
cartonnée, intitulé : Quinze Histoires
pour rire. Je n’ai pas beaucoup ri en le lisant mais je crois que les
livres des « Prix » ne sont pas faits pour être lus. Ils sont faits pour trôner comme un
trophée sur une étagère, un buffet ou dans une bibliothèque ! Chez nous :
pas de bibliothèque mais l’amour et le respect des livres inculqués par maman
(la bibliothèque noire et vitrée meublera beaucoup plus tard le salon avec, en
rayonnages, les œuvres complètes de Balzac, de Stendhal et de Pierre Benoît). Maman
disait qu’un bon livre, c’est un livre qui aide à passer une bonne nuit
(alors : « Bonne nuit, j’espère ! »).