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LE
POT-AU-FEU DU DIMANCHE
Ah ! le fameux pot-au-feu du
dimanche avec le traditionnel os à moelle. Quel régal ! Commençons par le
commencement : sa cuisson ? Eau froide ou eau chaude ? Toi, tu
dis que c’est selon que l’on privilégie le bouillon ou la viande. La première
formule qui consiste à verser de l’eau froide et à porter à ébullition
doucement donne un meilleur bouillon. La seconde « à chaud », qui
consiste à plonger la viande dans de l’eau en ébullition, la saisit
immédiatement et la rend plus moelleuse. Toi, tu optes pour le consensus (ça te
ressemble bien). Tu plonges à froid les viandes les moins nobles (type : les
viandes grasses et gélatineuses) qui donnent le goût au bouillon et tu ajoutes dans
le bouillon bouillonnant les morceaux de choix comme le gîte ou le jumeau (eh
oui, le jumeau est un morceau de choix, que vous le vouliez ou non !)
Sitôt que la viande a bouilli, tu
écumes en surface puis tu sales alors l’eau ! Deux cuillerées de gros
sel ! Tu ne sales jamais l’eau avant parce que tu sais très bien que le
sel fait sortir le sang de la viande et lui retire de sa saveur. Ensuite, tu poivres
et tu ajoutes un beau bouquet garni, mais attention, pas le petit bouquet de
rien-du-tout-ringningnin-peau-de-chagrin du genre thym-laurier mais un
vrai bouquet avec tout le tintouin : branche de céleri, vert de poireau, persil,
gousse d’ail et bien sûr un oignon piqué de deux clous de girofle pour parfumer
le tout.
Ensuite, tu plonges, dans
l’ordre, parce que les temps de cuisson sont différents : les carottes,
les navets, les poireaux et enfin les pommes de terre. « Plonger les
légumes les uns après les autres préserve leur saveur et distingue leur goût »,
assures-tu.
A l’heure de goûter
ce bouillon sublime, je verse dans mon assiette du tapioca (ou du vermicelle),
ajoute une biscotte, une carotte et un navet mais pas de poireau. Surtout pas
de poireau. J’ai une sainte horreur des poireaux. Depuis que j’ai vu celui d’Hortense
(notre voisine) pousser sur son poignet.
On dirait une corne de rhinocéros dure
et noire de deux centimètres. Je vous jure que c’est vrai. Chez elle, ça sent
le renfermé et son poireau. Tous les quinze jours, on lui fait ses courses à la
Coop. Rendre service aux personnes
âgées, c’est une idée à maman. Lorsqu’on revient les filets de commission garnis,
Hortense ne nous refile même pas ses timbres Coop. Pire, elle en contrôle le nombre, des fois qu’on lui en piquerait.
M’en fiche parce que les timbres Coop,
c’est un attrape-nigaud, vu qu’on ne voit jamais la couleur des cadeaux. C’est comme
les DH des carambars. Moi, je croyais
naïvement qu’en les collectionnant, je recevrais mon petit cadeau par la poste.
Mon cul, jamais rien reçu. Au moins, les objets ensachés, récupérés dans les
paquets de lessive Bonux ou les figurines
en plastique blanc baignant dans le Clarégal,
on joue avec immédiatement.
Après avoir dégusté le potage, vient
l’heure du cérémonial partage de la moelle par papa. Rituel immuable. Papa étale
la moelle délicatement sur une tartine de pain, ajoute un soupçon de moutarde, saupoudre
d’une pincée de sel et achève sa préparation par deux coups secs de moulin à poivre.
Puis il partage la tartine en quatre. En part égales. Nous, on attend bouche
ouverte notre tour comme des oisillons attendent la becquée. Régal !
Après, vient le moment de servir le plat de résistance. Maman accompagne la
viande de pommes de terre sautées, agrémentées d’une sauce blanche onctueuse et
savoureuse. Elle dit qu’un pot-au-feu, il vaut mieux le préparer la veille et en
garder pour le lendemain. Faut dire que le lendemain, elle a l’art d’accommoder
les restes. Elle arrose de vinaigrette, les tranches de viande froide et c’est
la meilleure salade du monde (surtout servie avec des frites).
Pourquoi je vous raconte tout
ça ? Pour le plaisir.
Pour le plaisir, je vous
parlerais bien aussi de la poule au pot, du poulet rôti et du rôti de veau du
dimanche midi. Attention, quand je dis : rôti de veau, c’est pas
n’importe quel rôti de veau, c’est celui mitonné aux petits oignons avec un jus
bien doré, brun en dessous et blond au-dessus. Faut voir comme papa se régale à
remuer avec une fourchette les oignons roussis qui ne demandent qu’à fondre sous
la langue.
Le jour du poulet rôti, toi tu
dis : « Pas de bon poulet rôti sans bon poulet tout court. »
C’est vrai que les poulets d’hier ne sont pas les poulets d’aujourd’hui, aspergés
d’antibiotiques et qui passent leur temps à bronzer sous de puissantes lampes
dans de minuscules boîtes, nourris, arrosés, tués, plumés et empaquetés
entièrement par des machines sans jamais voir la lumière du jour ni picorer un seul
petit brin d’herbe. Notre poulet à nous, c’est un vrai bon poulet fermier de
chez l’oncle René, salé et poivré généreusement à l’intérieur et à l’extérieur.
Thym-laurier-oignons et tout le tintouin. Comme au temps des rois, on a le
droit de manger les cuisses avec les doigts. Comme je préfère le blanc (avec
des petits pois), j’utilise ma fourchette. Papa jette son dévolu sur le
croupion. On dirait que moins y en a à manger et plus il se régale. C’est
curieux.
Les autres jours de la semaine, tu
nous offres une cuisine simple et généreuse qui mitonne, mijote et parfume la
maison. Une vraie belle cuisine. Cette cuisine-là, on ne la trouve pas
ailleurs et c’est la meilleure.