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LEÇON DE GRAMMAIRE
ORNICAR
Acteur né, Monsieur entrait en classe comme on entre en scène avec
l’envie de susciter notre curiosité. « On n’est pas obligé d’être ennuyeux
quand on parle de sujets sérieux » affirmait-il, n’hésitant pas à nous
présenter, avec une pointe de fantaisie, les règles élémentaires de grammaire
et les leçons d’orthographe. Méthodes à l’ancienne, vieilles recettes de
grand-mère ou touches plus personnelles, quand Monsieur mettait la main à la
pâte, on sentait toujours la patte du professionnel. Convaincu et passionné. Royal,
impérial, théâtral et parfois, magistral.
Un jour qu’on abordait les conjonctions de coordination (qui, je le
rappelle pour ceux qui l’auraient oublié ou qui ne l’ont jamais su : relient
deux mots, deux groupes de mots ou deux propositions de même nature), Monsieur
nous raconta l’histoire d’Ornicar, perdu
dans la nature. Nous, on n’avait jamais entendu ce prénom de notre vie. On se
demandait même où Monsieur avait bien pu le dénicher. On connaissait bien César
(à cause de Jules), Balthazar (à cause des rois mages), Oscar (à cause de de
Funes) et Gaspard (à cause de Gaspard des
Montagnes) mais Ornicar, inconnu
au bataillon. Jamais entendu parler. En plus, le Ornicar de l’histoire à Monsieur n’était pas très fute-fute. Même
pas fichu, comme le Petit Poucet, de semer en chemin, des petits cailloux
blancs pour retrouver sa trace. Si ça tombe, il est prisonnier dans la chaumière
de l’Ogre en pleine forêt et on ne le sait pas. A la fin de son histoire,
Monsieur nous posa une unique question : Mais où est donc Ornicar ? Nous, on n’en savait strictement
rien et d’ailleurs, pour tout vous dire, on s’en fichait un peu. On avait déjà
perdu le Mirza de Nino et on le
cherchait partout, alors, vous pensez bien que retrouver Ornicar était le cadet de nos soucis. Monsieur réitéra la question en
écrivant la phrase au tableau en script et en minuscule : « mais où est
donc ornicar ? » Il demanda
à Lulu de la lire à haute voix. Aussitôt que Lulu l’eût lu (turlututu chapeau
pointu), d’un coup de chiffon magique, il ôta l’accent grave de
« où », effaça le « s » de « est » et
sépara les trois syllabes de ornicar, ce qui donna : « mais ou et
donc or ni car ? » Sans attendre une improbable réponse, il abrégea
le suspens en affirmant qu’Ornicar n’avait pas pu disparaître puisqu’il n’avait
jamais existé.
Monsieur avait simplement à coeur d’aligner dans une même phrase les sept
conjonctions de coordination, histoire qu’on les imprime dans notre crâne. Il se
fichait éperdument qu’on ait retrouvé ou pas Ornicar, ce qui l’obsédait, c’est qu’on mémorise les sept
conjonctions de coordination (plus faciles à retenir, entre nous, que le prénom
des sept nains, des sept saints bretons, des sept pêchés capitaux ou des sept
métaux qui sont (?) : l’or, l’argent, le cuivre, le plomb, le
mercure, le fer et l’étain. Pari réussi.