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LE NOUVEL AN
Le jour du Nouvel An, comme de
coutume : on s’étrenne en s’étreignant. De bonne heure au matin, on arpente
le vieil Achicourt à pied. Le circuit est bien rôdé, on le connaît par cœur.
D’abord, on souhaite la bonne
année à Julienne et Maurice Wache, un couple de petits maraîchers, habitant rue
Victor Hugo. Je suis tout étonné de voir avec quel soin, Julienne prépare ses
poireaux et ses carottes pour le prochain marché. Elle les nettoie, les lave et
les aligne dans des cagettes en bois. Impressionné aussi par la longueur du buffet
de sa salle à manger.
Ensuite, c’est direction cité Sémard : Nanot et Nanine. Puis,
sur le chemin du retour : la ferme de l’oncle René et de la tante Berthe (rue
Michel Sélame). Dès qu’il nous accueille, les yeux ronds et brillants de mon
oncle illuminent la salle à manger. Pour lui, les enfants de Geneviève, c’est sacré.
Pas toucher. Mon oncle René, c’est quoi : un large sourire sur une face
ronde. Il a le teint cuivré des gens vivant au grand air, porte une chemise de laine à carreaux et un pantalon
de velours côtelé, retenu par des bretelles. Il trône sur son fauteuil d’osier,
tire sur sa pipe et envoie dans l’air une fumée qui sent bon la douceur de
vivre. Son visage, entouré de fumée, disparaît un court instant puis réapparaît,
plus lumineux que jamais (parfois, il claque ses bretelles en riant aux éclats).
A notre refrain appris par cœur :
« Bonne année, bonne santé », tante Berthe réplique : « Pareillement »,
tous les ans. Puis, elle se dirige vers le buffet, y sort une boîte en fer-blanc
remplie de biscuits, ôte le couvercle et nous la tend avec religiosité. Ma main
hésitante saisit un biscuit au chocolat (j’aime aussi les langues de chat et les
gaufrettes vanillées). Tante Berthe étale parfois du papier journal sur le pavé
de sa cuisine pour éviter qu’on salisse. Sitôt que la grille d’entrée grince,
elle se dépêche de planquer ses tartes au libouli dans son arrière-cuisine en chuchotant :
« Muche ch’tarte, v’là quequ’un » Quand on leur rend visite, le dimanche
après la messe, les aiguilles de l’horloge, suspendue au mur de la salle à
manger, cadencent l’interminable progression des secondes. Le boîtier est
d’ébène, les chiffres sur fond d’ivoire et le carillon sonne pareil que celui du
film : Le Vieil homme et
l’enfant.
Dernièrement, je suis allé chez
Félicie (une de leurs deux filles avec Paulette) et je lui ai parlé de l’horloge.
Félicie s’est levée, m’a saisi par le bras et m’a entraîné dans la pièce du
fond où le précieux objet reposait dans une boîte en carton. Aussitôt exhumée
du sarcophage et déballée de ses bandelettes, l’horloge m’a paru étonnamment
petite. Il a suffi que Félicie remonte la mécanique et que le carillon rejoue
cette musique si particulière comme au bon vieux temps pour que je fasse un
bond de quarante ans en arrière. L’oncle René et la tante Berthe ressurgirent de
ma mémoire.
Vous allez rire mais le jour de
la communion de Philippe, tante Berthe surprit tout son monde en osant une robe
à fleurs bleues qui tranchait singulièrement avec les tenues sombres qu’elle portait
habituellement. En plus, elle s’était coquettement chapeautée d’un béret noir,
du plus bel effet, piqué de trois cerises sur le devant et d’une voilette qui
lui tombait sur le front. Ne riez pas, c’est vrai.
Félicie s’appelle Félicie parce
que la maman de maman s’appelait Félicie, qu’elle a perdu la vie très jeune, à
33 ans (le 16 mars 1934) et qu’elle était la soeur aimée de l’oncle René.
Félicie, elle est touchante. Sur
la cheminée de sa salle à manger, trône une photo, prise à l’occasion des 50
ans de Philippe. Sur le cliché, on est alignés à six, en rang d’oignons. Chaque
fois que quelqu’un lui rend visite, elle tend fièrement la photo en disant :
« Ce sont les enfants de Geneviève. » Sacrée Félicie ! Je ne
vous parlerai pas des nombreuses conquêtes qu’elle a eues dans sa jeunesse, ça
la gênerait, mais croyez-moi, elle en a emballé plus d’un. Oh puis si, tiens,
je vais vous en dire quelques mots !
Vous ne savez
peut-être pas mais Félicie a été très courtisée du temps de sa jeunesse. Dieu
sait si elle possédait beaucoup d’atouts (les tops models aujourd’hui, c’est
rien à côté d’elle hier). Un peu difficile et exigeante quand même
Pourtant
Henri, comme on dit, c’était un beau parti. Il avait l’avantage d’être fils
unique et d’habiter dans un beau corps de ferme. Eh bien, la Félicie préférait au
corps de ferme, la fermeté des corps des hommes, enfin, des jeunes hommes de
préférence qu’elle sculptait d’une main ferme en épousant toutes les formes. Mais
pas n’importe quel jeune homme ! Félicie avait un faible pour les appelés
du contingent. Fallait la voir traîner, la coquine, toute pimpante et
conquérante, à n’importe quelle heure de la journée (et de la nuit), devant la caserne Schramm.
Ensorcelante comme la lune, elle était capable
de mettre à ses pieds tout un régiment d’un seul battement de cil et provoquer
une émeute générale dans l’armée française. Je n’invente rien, je vous jure que
c’est vrai. Si elle nie, c’est qu’elle vous raconte des fariboles, des
calembredaines et des carabistouilles, histoire de vous embrouiller. Sa
réputation était telle que les bidasses de
C’est bien
simple, après
Au petit bal perdu du samedi
soir, Félicie n’était pas la dernière non plus (avec marraine Renée) à fricoter les petits jeunots du coin. Aussitôt
sa proie capturée, il fallait la voir nager dans la félicité et l’extase. Tu
peux rire, Félicie, en lisant ces quelques phrases mais je dis la vérité. Qui
aurait pu se douter, un seul instant, que derrière son petit visage d’ange se
cachait une redoutable diablesse, chasseresse inassouvie ? Voyez-là, en
communiante, toute innocente et ingénue. On lui aurait donné le bon Dieu sans
confession. Tu parles. Tout compte fait, Félicie, tu as bien fait d’en profiter.
On clôture notre tournée (du
nouvel an) par le Moulin. Sitôt franchi le seuil, marraine me glisse, discrètement
dans la main, une pièce de 5 francs. De retour à la maison, je la dépose
précieusement dans mon coffre. Elle vient grossir ma cagnotte. Mon coffre, c’est la boîte d’emballage du réveil que mamie et papi m’ont offert
pour ma communion avec de la soie toute soyeuse à l’intérieur (enfin un cadeau
sympa). Je ne vous dis pas le soir de la répartition du butin des écalettes comment il est rempli de
pièces à ras bord. Comme l’oncle Picsou, j’aime bien remuer toutes mes pièces d’or
en les glissant entre mes mains et compter combien j’en ai.
A la télé, la nuit de la
Saint-Sylvestre, chacun est sur son trente et un, en tenue de gala. Nœuds
papillons, paillettes et cotillons. Henri Salvador nous amuse avec ses
pitreries et ses déguisements. Le 1er janvier, on capte des brides
du traditionnel concert de Vienne, composé de valses, polkas et marches
célèbres de la famille Strauss. A la fin du spectacle, la salle enthousiaste, conquise et ravie frappe dans ses mains au
signal du chef d’orchestre sur
Chaque dimanche du mois de
janvier est consacré à la tournée des vœux. D’abord tonton Auguste et tante
Andrée, à Saint-Nicolas, avec leurs trois Clodettes : Martine, Odile et Régine,
nos cousines. Belles ! belles ! belles ! comme le jour. Elles sont
toutes marteau de la pile électrique Cloclo alors, on se coltine un récital complet
de leur idole toute l’après-midi et l’angine de poitrine de tante Andrée,
toussotante et souffreteuse. Comme d’habitude. Ça s’en va et ça revient, c’est fait de tous petits riens, les chansons
populaires. C’est dingue, j’ai encore les refrains dans la tête !
Comme dessert, tante Andrée
nous offre une tarte aux abricots (plantés comme des oeufs sur le plat) avec une
petite goutte de café et une ziquette de champagne. Moi, dès que j’en avale un
doigt, j’ai l’impression qu’un marteau me fracasse le crâne. Tout éclate, tout explose. Sûr que si j’en
avais un, je cognerais très fort sur les trois Clodettes pour qu’elles abrègent
leur tour de chants. Sur les murs de la salle à manger, deux canevas sont
accrochés. Le premier représente un bouquet de
roses et le second, une chasse à courre. C’est moche.
Vu que maman et papa n’ont pas le
permis, c’est tonton Auguste qui vient nous chercher dans sa Traction noire d’Al Capone qui brille comme un miroir. Pour
la petite histoire, maman a obtenu son permis à… 46 ans (en décembre 1969)
après trois tentatives infructueuses. Nous, on avait sauté de joie et soutenu son
opiniâtreté (à mon âge, disait-elle) malgré des moments de découragement bien
compréhensibles. En recevant son précieux sésame, elle s’était coincée un doigt
dans la portière en la claquant. L’émotion sans doute. Je me souviens encore de
son premier raid à Fort-Mahon, dans
Le dimanche suivant, on étrenne la famille
Legay à Maroeuil : Claude, Marie-Catherine et leurs deux garçons :
Jean-François et David. Nous, on veut bien concéder ces deux dimanches mais à une
condition, c’est de rentrer à temps pour voir le début de Thierry la Fronde (et quand je dis le début, c’est le générique
compris). Pas question d’en louper une seconde. Alors, à l’heure prévue, maman prétexte
toujours une bonne raison pour lever le camp. Je me souviens qu’au cours d’un
des épisodes, le beau Thierry, inquiet de ne pas voir rentrer sa belle Isabelle,
avait repéré l’un de ses sabots dérivant sur l’eau. Après avoir décodé le
message à l’intérieur, il s’en était allé libérer sa dulcinée des mains des anglais.
Moi, j’avais trouvé… ça beau ! (Dernièrement, j’ai revu un épisode, le
feuilleton a mal vieilli ou alors, j’ai pris un sacré coup de vieux).
Pour rien au monde, après l’entraînement de
foot du mercredi, je ne raterais également : Zorro (avec son cheval Tornado,
son fidèle serviteur Bernardo et le gros sergent Garcia). Zorro, même avec son masque, à cause de sa fine moustache d’hidalgo,
ses yeux de loup et sa voix de crooner, on sait que c’est Diego de la Vega. Eh
bien, dans le feuilleton, personne ne s’en doute (même pas son père). Faut vraiment
être miro et sourdingue pour ne pas s’en rendre compte.
Il y a comme ça, dans la semaine,
des feuilletons ou des émissions qu’on attend avec impatience. Par exemple, le jeudi
midi La Séquence du Jeune Spectateur,
présentée par la poupée Claire. Avec son tablier à carreaux, ses tresses d’indienne
et ses yeux globuleux, la poupée Claire a l’air aussi tarte et nunuche que la grande
Duduche de Danièle Gilbert (on dirait son portrait craché enfant). Heureusement,
elle nous propose des extraits de films sympas comme Joselito et Fanfan la Tulipe.
Le dimanche, après la messe, l’énigmatique
et silencieuse Denise Glaser (la sosie de Barbara), invite Ferrat, Gainsbourg et Dutronc
dans son Discorama. En toute intimité. Après, Catherine Langeais (qui a gardé la coiffure
permanentée de son mariage) remplace la poupée Claire pour nous présenter La Séquence du Spectateur. La Catherine,
on dirait qu’elle sort tout droit de la messe tellement sa voix est grave. Catherine
Langeais, c’est une des speakerines vedettes de la télé. Pour être speakerine,
faut soit, s’appeler Jacqueline (Joubert, Huet ou Caurat) ou soit, s’appeler
Catherine et être l’épouse d’un Pierre de la télé (haut placé).
Il n’y a pas que des Catherine à la télé, il y a aussi beaucoup de Pierre.
Vous avez le Pierre (haut placé) de L’Homme
du vingtième siècle, les trois Pierre de Cinq Colonnes à la Une (Lazareff, Dumayet et Desgraupes), Pierre Tchernia (notre Ami public n°1) et
l’affreux Pierre Bellemare avec sa grosse moustache de gendarme. Lui, il a une
mine d’enterrement et des habits de vieux. Avec un ton d’inspecteur, il présente
La Tête et les Jambes. Il aime pas les candidats, méprise papa et ne veut
pas que je joue à ses jeux. Face à lui, les
candidats ne bronchent pas. On dirait qu’ils passent un examen. A la fin, le
vainqueur ne change pas de classe mais revient la semaine qui suit. Comme il n’y
a qu’une seule chaîne, on revient avec lui. Et papa continue d’écraser
nerveusement son mégot de cigarette dans le cendrier en grognant après
Bellemare. Il dit que quand Pierre Bellemare donne du « cher ami » à
ses invités, on dirait un gros mot dans sa bouche. Il préfère Les Coulisses de l’Exploit : Lâââ Lâ Lâ, Lâ Lâ LâLâLâ LâLâ LâLâ… et nous Bonanza.
Le dimanche soir, j’aime bien regarder
Sports Dimanche, avec Robert
Chapatte, Roger Couderc, Thierry Roland et Michel Drucker (Jo Choupin et Loys
Van Lee sont chargés d’annoncer les résultats des sports qu’on n’aime pas). Ensuite,
on suit les aventures des Globe-Trotters
avec Pierre le Français et Bob l’Américain. Chaque semaine, ils arpentent le
monde entier à pieds, à cheval ou en voiture à la poursuite de bandits méchants
à lunettes noires et chapeau mou et moi, je voyage avec eux.
Le mercredi soir, mes yeux
s’illuminent à l’heure de
Question variétés, on a l’embarras du choix avec Le Palmarès des Chansons, Tilt
Magazine, Les Salves d’Or et Sacha Show. Dans Sacha Show, le séduisant Sacha (avec son sourire dentifrice) invite
toujours Petula à chanter Down Town (on
dirait qu’il en est amoureux). Il invite aussi le gros râleur de Jean Yanne (avec
ses gros bras de camionneur) à débiter J’aime
pas le rock. Ca tranche singulièrement avec le scoubidoubi-dou-ah du beau Sacha. Jean Yanne est rigolo. Il
dit : « Les vieux adorent manger des cacahuètes, ça leur rappelle
leurs dents ! »
Avec sa gouaille légendaire, Régine s’affiche avec La grande Zoé et son gros boa. Patchouli
chinchilla. Un peu zinzin, Les
Parisiennes chantent Les Zozos (ça
ne vaut pas Les Zazous de Brigitte
Fontaine mais c’est sympa quand même).
Dans Les Salves d’or, Henri regrette
(déjà) qu’au niveau de la consommation,
c’est pas la joie. Puis, avec ses yeux ronds comme des billes et ses mains
de sadique (sans pour autant s’exécuter), il tourne autour de l’énigmatique Juliette
Gréco qui le provoque en chantant Déshabillez-moi. Si Henri me fait bien rire avec son rire
tonitruant et ses pitreries, il paraît qu’au niveau privé, il est moins
marrant. Les gens ne sont pas forcément ce qu’ils donnent à voir.
Dans Tilt Magazine, Michel Polnaref a une poupée qui fait non. Il paraît que toute la journée, elle fait non. Non, non ! ce n’est pas la poupée de cire poupée de son de
France Gall qui obtient avec cette chanson le Grand Prix de l’Eurovision en 1965.
Trois mois plus tard, Maman et papa l’applaudissent sur la Grand Place. Rien
vu, rien entendu. Trop loin et trop de monde (j’étais loin d’imaginer que 19
ans plus tard, je chanterais sur cette même Place, à l’occasion de
A la télé, papa déteste les groupes anglais. Il dit : « Ils ne
peuvent pas chanter en français. » Eh bien non papa, parce que ce sont des
groupes anglais. Il préfère Eddy Mitchell, Dutronc, Brassens et les…marches
militaires ! Moi je dis que la musique militaire, c’est pas de la musique.
Un soir, Drucker a présenté Tilt Magazine
à Douai et a invité Dutronc à chanter son piège à filles, son piège tabou qui fait
crac boum hue. Papa était tout content. Croyez-vous
que je sois jaloux ? Pas du tout. Parce que Johnny était au programme
et moi, à l’idée de voir Johnny hurler désespérément : noir, c’est noir, il n’y a plus d’espoir, j’étais plein d’espoir. Le lendemain, devant l’armoire à glace (qui
sent parfois la naphtaline à cause des boules à mites), je faisais Johnny en cognant
sur ma guitare en plastique comme lui.
Le dimanche, je ne rate jamais le
sacro-saint film de l’après-midi, annoncé par un chouette générique (Washington Square ou Le Troisième Homme pour ceux qui ne s’en
souviendraient plus). Dès que les premières notes de banjo retentissent, je me
précipite devant le petit écran, fou de joie lorsque c’est un western (surtout avec
des cow-boys, des indiens et des poursuites à diligences).
Je me souviens très bien de L’Homme qui tua Liberty Valence et de
Sans vouloir concurrencer Les Cahiers du Cinéma, j’ai beaucoup apprécié
aussi : Les Disparus de Saint-Agil, Les Diaboliques, L’Assassin habite au 21,
Les Amitiés Particulières et Le Vieil Homme et l’Enfant (avec l’émouvant
face à face entre le petit enfant juif et l’inoubliable Michel Simon, grincheux
et grognon mais tellement bon).
A la maison, pas question de
regarder le film du dimanche soir, vu qu’on a école le lendemain alors, quand Cucu
me le raconte avec une pléthore de détails à l’appui, le lundi matin, il me pompe
l’air. Il dit que son film préféré, c’est Les Oiseaux d’Alfred Hitchcock. Et sa chanson, une chanson d’Hugues
Aufray : Le Rossignol anglais qui
chante « trois couplets en espagnol et le reste en anglais » (ah non,
pas en anglais, papa va encore saquer dur sur sa cigarette).
Question feuilletons, le
premier qui me revient en mémoire, c’est Aventures
sur les îles avec le beau Capitaine Troy et sa belle casquette blanche (Dudu
en porte une pareille à visière, au Centre aéré). Troy est toujours vêtu d’une
chemisette et d’un pantalon blanc (aussi blanc que le blanc du Tiki, l’immense
voilier sur lequel il navigue sous le chaud soleil de Tahiti). Ah ! ce beau
Capitaine Troy avec sa voix de crooner. Je me souviens qu’au cours d’un des
épisodes, le bandit qu’il pistait disparaissait sur scène dans une malle grâce
à la complicité d’un magicien. Troy passait le reste de l’épisode à le
rechercher. Il avait dû le retrouver, vu que c’était le héros et que les héros,
ça gagne toujours.
Maman dit qu’il ne faut rien poser
sur la télé parce qu’elle peut exploser. Faut pas la regarder de trop près non
plus parce que ça abîme les yeux. Notre première télé était de marque Sonora. Papa l’a achetée après
Comme papa, je ne rate jamais les matches de foot de l’équipe de France,
Le Tournoi des Cinq Nations et les
grands événements sportifs.
J’ai encore en mémoire la Cérémonie d’ouverture des Jeux Olympiques
d’hiver de Grenoble (en1968) et le : « Je déclare ouverts les Jeux
olympiques d’hiver », lancé par le Général de Gaulle avec ses gigantesques
mains et son grand costume noir.
Lors de ces Olympiades,
Après avoir regardé le ski à la télé, les deux chambres à coucher et le
couloir qui les sépare se transforment en un immense site olympique. Une
avalanche de couvertures et de draps, liés les uns aux autres, s’étende d’une
pièce à l’autre. La course peut alors commencer. Les skieurs (des billes)
dévalent la piste, se faufilent entre les pinces à linge (qui servent de
piquets) et déboulent sur la ligne d’arrivée. Certains skieurs sont éliminés
après avoir raté une porte. Comme en vrai. Les autres franchissent la ligne
d’arrivée plus ou moins vite et plus ou moins loin. Pour calculer le temps du
champion, il faut attendre que la bille s’immobilise. C’est la distance qui
sépare la ligne d’arrivée de la bille stabilisée qui le détermine. Plus la
bille est allée loin, plus le temps est bon. Au fil des passages, la piste se
détériore et désavantage les derniers concurrents. Comme en vrai. Pas mal,
hein !
Des Jeux
Olympiques de Mexico (la même année), je
revois encore le saut prodigieux de Bob Beamon à
Avec Philippe,
le lendemain, on refaisait les Jeux Olympiques avec des bouchons en guise d’athlètes
et une piste, dessinée sur un morceau de tapisserie. C’est fou comme on a pu
faire de choses ensemble. Une fois, on est même tombés malades à deux, le même
jour. Il avait une jaunisse et moi, la
rougeole. C’est normal, le jaune, c’est sa couleur préférée à Philippe et moi, c’est
le rouge.
Le soir où les parents
étrennent Monsieur et Madame Méhay (nos voisins), on joue aux Grands enfants avec Christine et
Patricia. Depuis toujours, Monsieur Méhay écrit son journal. Il y consigne ses
états d’âme, ses joies et ses peines. Sa femme, ses trois filles (Martine,
Véronique et Sylvie) et leur petite famille y tiennent une place de choix. C’est
un vie sans histoire que l’histoire de leur vie. Tout en tendresse, retenue et amour. Sans flafla, ni chichi, ni tralala.
Le jour de la chandeleur, c’est
soirée crêpes. Les tiennes sont croustillantes
sur le bord et moelleuses à l’intérieur. Avec un léger goût de rhum. Tu
racontes que la première crêpe que les anciens faisaient sauter devait atterrir
sur le haut de l’armoire pour que les récoltes soient abondantes. Toi, tu fais
sauter la première, en serrant fort un
louis d’or dans la main gauche après
avoir fait un voeu. Il est exaucé si la crêpe tombe directement dans la poêle. Nous,
on rit de bon coeur lorsqu’elle s’écrase lamentablement sur le carrelage. Toi aussi.
Tu racontes qu’à la chandeleur,
les anciens se rendaient à l’église une chandelle à la main. Sur le chemin du
retour, la flamme ne devait surtout pas s’éteindre avant que le porteur ait franchi
le seuil de sa maison sinon c’était signe de malheur pour lui. Le reste de l’année,
la chandelle reposait dans une armoire et servait à veiller un mort ou alors en
cas de coupure de courant.
Nous, en cas de coupure de
courant, on monte rapidement se coucher parce
qu’on sait très bien que la panne va durer toute la nuit et que la lumière ne
reviendra pas avant le lendemain matin. Parfois, on reste en bas et on s’éclaire
à la bougie. Quand la flamme s’affole et vacille, on s’amuse à dessiner au
plafond, en ombres chinoises, la tête d’un canard ou la gueule d’un loup. En
fin de soirée, on se réunit autour de la table et tu nous racontes des
histoires à faire peur.
Je me souviens que deux d’entre
elles avaient défrayé la chronique au village. Le 27 octobre 1935 : le
meurtre d’un couple de personnes âgées (les Duflos) au 68 bis de notre rue (dans
la maison des Caupain). Et le 29 juin 1968 : l’assassinat d’un jeune
communiste de dix huit ans (Marc Lanvin), abattu sous les fenêtres de la
ferme de Georgette par six militants gaullistes[i].
Dans le village tranquille et
pauvre en faits divers, le double assassinat d’avant-guerre avait provoqué un
émoi considérable. Faut dire que l’auteur des faits : Casimir D. n’y était
pas allé de main morte. Il avait fait irruption dans la maison du couple en
passant par le verger. Muni d’un gourdin
(un tuteur de rosier en chêne massif, saisi dans le jardin), il avait défoncé le
crâne de la vieille dame avant de s’acharner sur le mari. En essayant de se
défendre avec le pommeau de sa canne, le vieil homme avait heurté violemment le
sol et gisait par terre à l’arrivée des gendarmes. Avec les 2200 francs volés, Casimir
vécut une vie de débauche les jours suivants et c’est d’ailleurs parce qu’il
laissa des bijoux volés en gage dans une maison de nuit d’Avion qu’il fut confondu
et arrêté (les neveux du couple assassiné ayant reconnu une chaîne, une bague
et une montre appartenant à la famille). Paraît que quand le juge le ramena sur
les lieux des crimes pour la reconstitution des faits, il échappa de peu au
lynchage de la foule excitée.
Avant d’assassiner le couple
achicourien, Casimir avait déjà massacré un mois auparavant, dans le village de
Pommier, deux sœurs âgées, veuves et isolées qu’il avait croisées du
temps où il accompagnait son père, fournisseur de charbon. Il les imaginait
riches au motif qu’elles commandaient beaucoup de sacs de charbon à la fois.
Alors, le 24 septembre, à cinq heures du matin, il bondit de la grange où il était
tapi depuis trois heures et s’introduisit dans la maison. Les deux sœurs, à
tour de rôle, le surprirent en train de chercher l’argent et subirent le même
sort : crâne et visage fracassés à coups de bâton. Casimir s’enfuit avec
plus de 2000 francs après s’être lavé dans la maison de ses victimes. 2000
francs, c’était une coquette somme. Pourtant, en quelques semaines, il dilapida
son butin dans les cafés et maisons de nuit.
Lors de sa comparution en mai
1936, Casimir toisa la salle dès son entrée dans le box des accusés. Le
président retraça son passé chaotique. Abandonné très jeune par son père et
maltraité par sa mère, il apparaît comme un « enfant sournois puis
« ouvrier paresseux » et enfin « vagabond ». Il obtient néanmoins la garde de ses trois
enfants après son divorce. Casimir resta impassible lorsque
le président relata ses quatre assassinats mais il fut secoué lorsque l’avocat
général évoqua ses enfants. Il écrasa une larme avant que l’homme de loi déclare
: « Pour la première fois, au cours de ma carrière, c’est sans émotion et
sans trouble de l’âme que je réclame la peine de mort ». Avant la
délibération du jury, l’accusé lâcha ces quelques mots : « Je regrette
sincèrement ce que j’ai fait…je demande pardon à la société… ».
Les jurés ne l’entendront pas
de cette oreille. Sous les cris de haine et les crachats de la foule, Casimir est
guillotiné sur
Encore heureux que Casimir a
été arrêté parce que pépé Alcide figurait sur sa liste de ses prochaines
victimes en bonne place. La première. Je vous jure que c’est vrai. Son nom était
couché sur son calepin. C’est Nanot qui me l’a raconté. Inutile de vous dire
qu’à l’heure de se coucher, Philippe faisait ses yeux de Jack l’éventreur et voulait nous
égorger tous.
[i] MARC LANVIN, jeune militant communiste
de dix-huit ans, a été assassiné le 29
juin 1968 à Achicourt, rue Pasteur, la veille du 1er tour des
élections législatives, décidées par le Général de Gaulle, après la dissolution
de l’Assemblée Nationale, un mois auparavant. Après les événements de mai 1968,
De Gaulle souhaite réaffirmer sa légitimité auprès des français par ce scrutin
électoral et sortir
Guy Mollet
(maire d’Arras) est le candidat unique de
Au petit matin, les
auteurs de ce lâche assassinat sont identifiés et interpellés à leur domicile.
Il s’agit de six colleurs d’affiches, sympathisants du camp adverse. L’estafette, repérée à Rouvroy, a été louée à un entrepreneur arrageois par
l’U.D.R. (parti gaulliste), le temps de la campagne de Paul Theeten, adversaire
du maire arrageois.