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LE CHANT DU MERLE 

 

 

Moi, le coucou, je sais comment il fait. Il fait  « coucou  coucou »  comme le coucou du bois Barjavel qui rompt le silence assourdissant de certains dimanches après-midi de juin. Il fait « coucou coucou »  comme le coucou de l’horloge de mémé du Moulin qui jaillit de sa boîte tous les quarts d’heure avec une régularité de coucou suisse. D’une insigne banalité, le chant du coucou est facile à identifier. Faut vraiment pas être un grand mélomane pour le confondre avec le « coucouroucoucou » de Nana Mouskou(cou)ri ! Cucu, il dit que le coucou est plus paresseux qu’une couleuvre parce qu’il n’a même pas le courage de couver ses oeufs. Moi, je veux bien que la couleuvre soit paresseuse mais au moins elle, elle n’a pas une langue de vipère.

 

Cucu est balèze, il reconnaît les oiseaux à leur plumage mais aussi et surtout à leur ramage. Il ne se contente pas de les décrire : taille, poids, couleur, tout ça, il imite aussi leurs cris. Impressionnant ! Faut dire que Cucu a un avantage sur nous : il habite aux abords du Polygone et passe son temps à les observer. Il écoute leurs gazouillis, leurs gargouillis, leurs cliquetis, leur glissandi. Leurs chants, quoi. Après, il susurre, gazouille et siffle comme eux. On dirait qu’il a appris à siffler avant d’apprendre à parler.

Une fois, je lui ai demandé d’imiter le cri de la caille des blés, celle qui vit dans ma plaine. « Huit-uituit ! huit-uituit ! » qu’il a fait tout de suite et de plus en plus vite. « Huit-uituit ! huit-uituit ! » Il m’a dit : « Ça, c’est le mâle » et puis, il a enchaîné avec le cri de la femelle : « Prui-prui ! prui-prui ! c’est son bruit à elle », qu’il a répété, sûr de lui. Je vous jure que c’est vrai. Ça m’a cloué le bec. Lorsque les couples sont dérangés, il paraît qu’ils émettent à l’envol, un son doux et roucoulant différent : « vrou-vrou ».  Ça, je le tiens encore de Cucu. La perdrix, lorsqu’ elle fuit le danger, elle ne fait pas pareil, qui dit Cucu, elle pousse des  « psipsi-psipsi » d’excitation en décollant.  Moi, j’ai voulu ramener ma science en disant : «  C’est un peu comme le rossignol. » Qu’est-ce que j’avais pas dit là. « T’es maboul, qu’il m’a dit texto, en me rigolant au nez, le cri du rossignol, c’est : « tiu-tiu-tuiutuitui. » J’ai eu l’air de l’irriter vraiment et le Cucu, faut pas trop le contrarier. Quand on le pique ou qu’on l’attaque, il répond du tac au tac. C’est sa tactique. Il peut être même d’une mauvaise foi absolue (remarquez, être de bonne foi ne prouve pas qu’on a raison, non plus). Cucu, il est même capable de vous voler dans les plumes quand vous avez une prise de bec sérieuse avec lui. Une fois, il m’a dit que j’avais le Q.I d’un pot de yaourt ! (« Et toi, d’un bulot » que je lui ai répondu aussi sec). Il peut aussi vous asséner son argument massue : « Çui qui dit, c’est çui qui y est. » Après ça, vous n’avez plus qu’à la boucler. « Ah, bon » que je lui ai dit (que j’dis qui dit qu’on dit). « Quant au cri du geai des chênes, a-t-il enchaîné, il est mille fois plus moche. » Le geai, il fait  « skrrèèik ou rrèèch » !  C’est vrai, c’est moche !

 

Une autre fois, il a voulu que je l’accompagne de bon matin au Vivier. On s’est planqués derrière un arbre et il m’a demandé d’attendre. Tout à coup, on a vu filer furtivement, au ras de l’eau, une petite flèche bleue turquoise. En un éclair, la flèche a traversé le Vivier dans sa largeur en lançant des « tiht tih tit » rapides, perçants et aigus. « C’est un martin-pêcheur », a chuchoté Cucu, tapi derrière moi. Paraît que le martin-pêcheur peut attendre des heures entières, immobile sur une branche, le moment opportun pour plonger sur un poisson et le capturer. « Prends-en de la graine », a-t-il cru bon d’ajouter, visiblement pas mécontent de pointer mes piètres qualités de pêcheur (c’est vrai, je suis un très mauvais pêcheur, trop distrait et trop impatient).

Dans le Vivier, Cucu aime bien attraper des tanches et des gardons. Par temps de fortes chaleurs, on peut apercevoir d’énormes carpes, tels des sous-marins insubmersibles, progresser lentement, remonter à la surface de l’eau et gober l’air. Moi, quand j’imite la carpe, je pète. Cucu croit que je me fiche de lui mais il paraît que les poissons parlent en pétant. Alors, je fais pareil (de toute façon, la communication avec les poissons est très limitée). Cucu, il dit que si la carpe saute hors de l’eau et gobe les moucherons qui volent au ras de la surface, c’est signe de mauvais temps. Il dit aussi que les poissons nagent tout le temps pour ne pas se noyer (moi, pour ne pas me noyer, j’évite de nager).

Je ne sais pas comment il fait pour imprimer dans sa petite cervelle de moineau tous ces papotages  mais il y parvient. Et il est incollable. Le champion de l’imitation des chants d’oiseaux, c’est lui. Il te fait aussi le « boula-boula » de l’aigrette et le «tzit tzit »  de la bergeronnette grise. La totale, quoi.

 

Une fois, je lui ai dit, un peu en me fichant de sa poire : « Moi, je sais faire le kroa-kroa  des corbeaux. »    « T’es pas bien,  qu’il m’a répondu, c’est la corneille qui fait : kroa-kroa.  Le corbeau fait : graa-graa-graa. » J’ai fait ma mine d’étonné. Moi, déjà physiquement, je suis incapable de différencier ces deux volatiles, alors, vous pensez bien que distinguer leur cri : impossible. Pour les repérer, Cucu a un truc. Il dit que la corneille préfère la hauteur des grands arbres alors que le corbeau affectionne les bosquets et les espaces verts. Il dit aussi que le corbeau vit volontiers en bande et la corneille en couple ou en petits groupes. En plus, le bec du corbeau est plus effilé et sa queue plus arrondie ! Il en connaît des choses.

Moi, on a beau me dire que les affreux freux corbeaux jouissent d’une sale réputation de cafteur, je les aime bien quand même, je ne sais pas pourquoi. Peut-être parce qu’ils sont là depuis la nuit des temps et que j’entendais déjà leurs croassements dans le bois de Jacquou le Croquant. A l’automne, j’aime bien quand ils se livrent à des acrobaties. Ils tournoient en groupe, s’élèvent en croassant et accomplissent toute sorte de figures aériennes. Paraît que quand ils volent haut, le mauvais temps n’est pas loin et quand ils croassent tôt le matin, c’est signe de beau temps. C’est mon oncle René qui le dit. Il prétend aussi que les corbeaux sont des oiseaux gourmands, méfiants et intelligents. Par exemple,  quand ils décident de piller un champ de maïs, souvent, un guetteur corbeau s’installe au sommet d’un arbre et reconnaît les alentours. Personne à l’horizon. Alors, il croasse quelques ordres et vous pouvez être sûr que les corbeaux éparpillés dans la nature rappliquent et s’abattent dans le champ. Aussitôt que le corbeau sentinelle lance un nouvel ordre, voilà que la moitié de la troupe s’envole et disparaît tandis que l’autre moitié reste sur place et se gave abondamment. Comme les geais ou les perroquets, les corbeaux ont loin d’avoir une cervelle de moineau. Ils sont beaucoup moins naïfs que le prétend mon copain La Fontaine.

 

Figurez-vous qu’un jour, j’ai été réveillé, en sursauts, par des tapotements secs et répétés provenant de la baie vitrée. Je me suis demandé qui pouvait bien frapper avec insistance au carreau à cette heure matinale. Comme les « toc-toc-toc » ne s’interrompaient pas, je suis descendu à pas de loup et j’ai écarté discrètement le rideau. Devinez ce que j’ai vu ? Quatre ou cinq corbeaux faisaient le pied de grue. Malgré ma présence discrète, ils continuaient à donner du bec contre la baie en réclamant leur dû. Véridique. Faut dire que depuis deux mois, je les nourrissais en pitance de toute sorte, au fond du jardin. J’avais rapproché progressivement leur écuelle de la terrasse pour lorgner de loin leur stratégie d’approche. Subtile. Ils piquaient même les œufs destinés à la fouine qui, discrète et rusée, venait chaque nuit, sous les coups de trois heures, s’approvisionner sur le toit de la verrière.

           

Cucu, il n’y a pas qu’au chant qu’il est capable de différencier les oiseaux mâles des oiseaux femelles. Tenez, il a une astuce pour distinguer les canards colvert des deux sexes à la saison où il devient difficile de les différencier, c’est-à-dire après la parade nuptiale et l’accouplement, au moment les mâles perdent leurs couleurs vives et leur plumage coloré. Il a remarqué que le mâle possède un bec jaunâtre et la femelle, un bec orange verdâtre. Faut avoir des yeux de lynx pour s’en apercevoir. Moi, je ne vois rien pourtant je ne suis pas daltonien.

 

Parmi les oiseaux de chez nous, il n’y a qu’un chant que Cucu ne parvient pas à imiter, c’est le chant du merle. Ni « tiou-tiou », ni « krèèèl-krèèèk », ni « boula-boula ». Le chant du merle, il dit que ça s’imite pas. J’ai compris plus tard que le chant du merle, c’est de la musique pure ! Un chant mélodieux, flûté, sonore. Du Mozart, quoi. Divin, enchanteur, unique et conquérant