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LULU

 

 

Cucu et Dudu habitaient à la lisière du Polygone (pas loin du lieu-dit « Les Hées[i]»). Cucu s’appelait Roger et Dudu : Gérard (Cucu et Dudu étaient les diminutifs de leur nom de famille).

Lulu ne s’appelait pas Lucien. Il se prénommait autrement mais je n’ai pas très envie de décliner sa véritable identité. Peut-être parce que Lulu, c’est un peu vous, c’est un peu moi, c’est un peu chacun d’entre nous, confronté parfois à ses doutes, ses faiblesses, ses limites ou ses peurs. A l’affût d’un regard bienveillant, d’une oreille attentive ou d’une main tendue. Lulu, c’est aussi celui qui peut être étonnant et créatif en certaines circonstances. Peut-être que reconnaître les qualités de quelqu’un, c’est déjà les développer.

 

Mon Lulu à moi, c’était à la fois le vilain petit canard et l’affreux mouton noir. Monsieur prétendait qu’il descendait de la famille des lémuriens (et plus exactement du paresseux) tellement il était lent dans les mouvements et long dans l’action. C’est vrai qu’il était ramolli du bulbe, je ne sais pas pourquoi.

Lulu n’avait peut-être pas inventé la poudre ni le fil à couper le beurre mais il avait un cœur gros comme ça. Vous savez, moi, je n’ai pas inventé grand-chose non plus. S’il n’y avait eu que des clones de Lulu et moi sur Terre depuis que l’homme est homme, on en serait encore à l’âge de pierre, la cueillette, la chasse et la pêche. Et encore ! Remarquez, ça ne serait peut-être pas pire. On aurait comme ça échappé aux conséquences de l’intelligence de l’homme, souvent dominatrice et destructrice et à ceux qui savent tout et ne comprennent rien. Ils sont légion.

 

Mon Lulu à moi, comme le cancre de Prévert, il disait non avec la tête - mais il disait oui avec le cœur.  Comme l’élève Hamlet, il était là où il n’était pas. Lulu l’hurluberlu, désolant, désopilant. Lulu des mauvais jours, seul sur terre, abandonné et solitaire. Tétanisé, traumatisé, terrorisé. Lulu, qu’est-ce qu’on va faire de toi ? Avec tes yeux d’oiseau inquiet et ton regard d’épagneul trahi. Echouer pour mieux réussir, peut-être.

Le vrai Lulu, certains le reconnaîtront si je dis qu’il a été le premier amoureux de Titine (comprenez Christine, ma sœur jumelle). Vous voyez qu’il avait bon goût. Amour à sens unique. Le sien ! Lulu, où es-tu ? Lulu que fais-tu ? Lulu, m’entends-tu ? Lulu, je l’ai croisé, il n’y a pas si longtemps, à la boulangerie du coin mais je n’ai pas osé prendre de ses nouvelles. Je le ferai la prochaine fois.

 

Quant à Dudu, au premier coup d’œil, on voyait bien que c’était un vrai gentil, juste quelqu’un de bien, cultivant harmonieusement son esprit et son corps. Bon en gym et en amitié. Comme on dit, il n’aurait pas fait de mal à une mouche. Moi, si ! Les mouches, ça m’arrivait même de les écrabouiller sur la table en formica jaune caca d’oie de la cuisine quand elles aiguisaient leurs pattes et qu’elles me harcelaient au petit déjeuner. Lulu, il faisait pire : il leur arrachait les ailes. Remarquez, question torture des mouches, vous avez mieux encore avec ces rubans collants aussi inesthétiques que cruels qui pendouillent au plafond de certaines cuisines et sur lesquels les mouches viennent s’engluer. Faut les voir faire du rétropédalage en zézayant avant d’agoniser inexorablement. Même que lorsque tu t’agrippes les cheveux à ce truc super gluant, tu ne parviens plus à les décoller. Ca m’est arrivé plusieurs fois (( pas vous ? menteur(se)).

 

Cucu, lui, c’était un solide gaillard, un dur à cuire, un gros costaud des biscoteaux. Quand il te serrait la main, il te broyait les doigts. Avec ses pectoraux de petit taureau, il avait la carrure d’un rugbyman. Si ça tombe, il fera rugby quand il sera grand.

Pas frileux pour deux sous, il était le premier de la classe à enfiler ses culottes courtes à l’approche du printemps et le dernier à les quitter aux prémisses de l’hiver. A la récré, quand on s’amusait aux gendarmes et aux voleurs, on s’arrachait toujours le privilège de le choisir comme partenaire.

Cucu était aussi le premier à glisser sur la patinoire de la cour d’école verglacée lorsque la neige gelait le sol à pierre fendre. Le deuxième, c’était Monsieur, et même qu’à ce jeu dangereux, il ne se cassait jamais la figure ! Lulu se prenait de sacrés gadins. Moi aussi.



[i] FAUBOURG DE HEE : Ce lieu-dit faisait partie du système de défense de la Citadelle, édifié entre 1668 et 1672 sur l’ordre du Roi Soleil. Le glacis et les Douves étaient destinés à empêcher l’accès au mur d’enceinte. Depuis, la nature a reconquis les lieux progressivement.