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LES MATCHS DE FOOT

 

 

Avec les Niafs[1], on se regarde en chiens de faïence depuis toujours. Je ne sais pas pourquoi mais parfois ces affreux jojos nous attendent au coin du bois Barjavel pour nous foutre une volée de bois vert. Vaut  mieux les éviter. Surtout Toto. Vous voyez Chéri-Bibi, eh bien Toto, c’est Chéri-Bibi en dix fois plus gros. Ses biceps, on dirait mes cuisses. Alors, Philippe et moi, on ne franchit le territoire de nos ennemis jurés qu’en de rares occasions : pour aller chercher le lait à la pâture des Ganaert (au moment de la traite) ou pour se rendre chez Jean Froment : le cordonnier. Jean Froment, il a des faux airs de Jean Nohain et du professeur Cheron. Il a plus un poil sur le caillou, du coup son crâne, on dirait un genou. Jean ne fabrique pas des chaussures mais il les ressemelle en enfonçant de tous petits clous avec la même habileté que Julien. Si maman rallonge les pantalons avec de larges bords de tissus pour les prolonger une saison ou deux, Jean redonne une seconde vie aux bottines usées dont on ne se sépare que lorsqu’elles commencent à prendre l’eau (c’est marrant, quand les semelles se décollent et s’ouvrent devant, on dirait que le soulier rit).

 Avec les Niafs, on a définitivement enterré la hache de guerre en 1968 autour d’un ballon rond et le sorcier Nanot fut nommé entraîneur de la première équipe minimes d’Agny.

 

Chaque jeudi après-midi, on prend son pied à l’entraînement en effectuant des contrôles, des conduites de balle, des passes, des débordements, des centres, des têtes, des tirs et surtout un match à la fin de l’entraînement. Pour accomplir les exercices, t’as plutôt intérêt à bien choisir ton ballon parce qu’un seul ballon est bon. Les autres, c’est rien que du béton. Quand tu en reçois un en pleines cuisses, ça te fait une marque rouge sur la peau jusqu’à la fin de l’entraînement et ça ravigote le sang (pire que les orties). Quand tu le bloques dans les roubignoles, alors là, tu frôles carrément la syncope. Aussitôt qu’il s’écrase dans une flaque d’eau, il pèse dix tonnes et devient impossible à lever. Remarquez, ça m’arrange bien, à cause des têtes. Parce que les têtes, j’aime pas en faire. Surtout quand c’est Bébert qui allume une chandelle. Pour éclairer le jeu, qu’il dit. Tu parles ! Faut être stratégique pour ne pas se trouver à la retombée de la bombe sinon tu crains la lésion cérébrale. Si t’as le malheur de le prendre carrément sur le sommet du crâne, ça te produit une douleur aigue dans la tête que t’y vois 36 chandelles (sans Jean Nohain).

Pour éviter de faire des têtes, j’ai ma technique. Quand la balle est en l’air, soit  je fais mine de relacer mes chaussures en posant un genou par terre (ça marche pas mal même si Nanot me remonte les bretelles), soit  je fais semblant d’être ébloui par le soleil (même par temps de fortes pluies). Une fois, j’ai rien vu venir : j’ai reçu le missile en pleine poire. C’est mon pif qui a pris en premier. « Mon nez, c’est la mer rouge quand il saigne ! » qui dit Cyrano dans Cyrano de Bergerac. Eh bien moi, j’aurais pu dire la même chose. Mon nez a pissé le sang pendant un quart d’heure (pire que l’œil du lapin à Gilbert). Comme ça n’arrêtait pas de pisser, j’ai suivi, à la lettre, le conseil de Nanot : j’ai basculé la tête en arrière. Tu parles, faut surtout pas faire ça ! (paraît que Nanot a été secouriste à l’armée. Bravo, l’armée française, elle a bien fait de me reconnaître : P 4 : débilité-folie !). L’entraînement terminé, on rentre lessivés, rincés, essorés. Juste à temps pour regarder Zorro et patienter jusqu’au match du dimanche.

Jouer le match du dimanche, c’est la récompense suprême. Tôt le matin, entassés dans la deu-deuch de Nanot, on sillonne notre beau Pays d’Artois, super fiers de défendre nos couleurs sur tous les terrains du District. Vous ne savez pas mais la terreur des terrains, c’est bibi sur son aile gauche avec ses dribles déroutants et ses démarrages fulgurants. On m’appelle Speedy Gonzalez  (non, c’est pas vrai). C’est bien connu, tous les gauchers excellent en sport et je ne faillis pas à la règle. Ailier gauche indiscutable de l’équipe (je suis le seul gaucher), je virevolte, drible et provoque comme Georges Lech. Nanot dit que sur son aile, faut savoir se faire oublier. Moi parfois, je respecte à fond sa consigne. On m’oublie tellement que j’en touche plus une.

 

En hiver, tout est dur comme du béton : le terrain, les chaussures, le ballon. Difficile dans ces conditions d’effectuer des râteaux (les grands techniciens comme moi et comme Georges Lech comprendront ce que je veux dire). Alors, je me contente de louches ! (c’est pas pour me vanter mais des louches, j’en fais à la pelle). Le roi de la roulette, de la talonnade et des petits ponts, c’est aussi bibi. Pour ce qui est des râteaux, Bigard en récupère un avant le match pour égaliser le terrain. Son second job, c’est tracer les lignes à la chaux blanche. A la façon dont elles sont droites ou pas, on sait déjà si Bigard va réaliser un bon match sur le bord de la touche parce que le Bigard cumule les fonctions, il est aussi juge de touche.

 

Côté vestiaire, on se déshabille dans un vieux baraquement en bois, peint aux couleurs du club « jaune et rouge » (comme Lens). En hiver, on dispose d’un feu électrique et d’un baquet d’eau froide pour nettoyer les godasses après le match. Faut les laver, les brosser, les briquer. En hiver, elles sont tellement raides que t’attrapes des ampoules aux pieds et des cloques au talon. A la fin du match, on a droit à un viandox chaud brûlant, saupoudré de poudre de céleri. On dirait une soupe de sirop. J’ai horreur. Je préfère boire la limonade à la régalade (et faire des rôts).

Heureusement, pour gagner les matchs, on a Bigard !

 



[1] Surnom donné aux habitants d’Agny.