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LE
PECHER
Pour vivre heureux, on vit souvent
perchés, suspendus aux branches du pêcher. Bien plus près du soleil et des
étoiles. Légers, légers, légers. Toujours prêts à hisser la grand-voile. A voler,
bondir, planer, voguer, portés par le souffle du vent.
A cheval sur la première
branche, on galope comme Joss Randall,
un revolver à la main, à la poursuite de bandits imaginaires.
A califourchon, une branche plus
haut, on ferme les yeux et on s’embarque dans la carlingue de l’avion de Tanguy
et Laverdure : Les Chevaliers du Ciel. On décolle et
on s’envole au-dessus des feuillages, soulevés par le vent, dans le remous des
branches comme en apesanteur. Lorsque le vent souffle en furieuses rafales, on se
hisse carrément à la cime de l’arbre et on rêve tous les deux de conquérir
l’Amérique. Prendre le large. Toutes voiles dehors. Fendre les vagues dans une
rumeur d’Océan. Chahutés, ballottés, tourmentés par une mer agitée.
Parfois, on joue à La Piste aux étoiles, aux acrobates, aux
trapézistes et à Tarzan. Moi, je sais très bien imiter le cri de Tarzan :
« yoo hoo hiho hiho hiho hihooooo ! »
Pas mal hein ! Mieux que Johnny Weissmuller (sûrement meilleur que moi néanmoins
à la nage encore qu’on ne puisse comparer deux époques). Vous avez remarqué que
dans les films de Tarzan, il y a toujours des expéditions de blancs civilisés
qui, dans un élan de générosité, secourent des sauvages, complètement ahuris, qui
disent : « Merci Bwana ! » Nous, on ne la ramène pas trop quand
on est juchés sur nos éléphants (constitués de six caisses superposées) parce
que je ne vous dis pas les dégâts quand on se casse la figure !
Comme on grimpe régulièrement
sur le pêcher, les pêches ne résistent pas longtemps aux assauts répétés de nos
folles embardées. Vertes et dures, elles tombent bien avant la cueillette. On
les ramasse par dizaine pour canarder nos cousins corsaires qui partent à
l’abordage de notre équipage. Tirs en rafale. Jets en cascade. Nous, pas vouloir abandonner le bateau.
A la fin de l’été, on cueille délicatement
les pêches qui ont miraculeusement résisté à nos jeux d’enfants. On les coupe en
morceaux avant de les mélanger avec des petits suisses. Un pur délice.