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LEÇON
DE CONJUGAISON : LE PASSE SIMPLE
Ce jour-là, la leçon portait sur le passé
simple que Monsieur qualifia comme le temps du récit.
« Tous
les verbes du 1er groupe se terminent par : -ai, -as, -a, -âmes,
-âtes, -èrent », précisa-t-il. Ça commençait bien. Il déclina
ensuite les terminaisons des verbes du 2ème groupe : -is, -is,
-it, -îmes, -îtes, -irent. Puis il s’attarda sur les
terminaisons des verbes du 3 ème groupe en les fixant au
tableau, à la craie rouge : -s, -s, -t,
-mes, -tes, -rent. Il nous indiqua que ces terminaisons pouvaient
être précédées de -u- ou de -in- selon les verbes et illustra ces
propos par deux exemples : vous
lûtes (lire) et vous vîntes
(venir). « Ces verbes irréguliers,
insista-t-il, vous devez les connaître par cœur. » Alors là, ça se
compliquait singulièrement pour Lulu et pour nous.
Monsieur acheva sa démonstration par quelques
exemples dont le dernier combla de joie la classe entière : « il
se lava autant qu’il put ». Il y avait belle lurette que Lulu avait
décroché au moment d’aborder les exercices pratiques.
Le lendemain matin, après avoir réclamé le silence par un « chut ! » qui se dilua dans l’air ambiant, Monsieur
inscrivit au tableau « vous chûtes ».
L’œil
malicieux et la moustache frisottante, il nous demanda de
préciser l’infinitif et le temps du verbe. Dudu subodora le traquenard et ne
broncha pas. Lulu garda un silence prudent. Moi, j’avais flairé l’entourloupe et
restai bouche cousue. Cucu, téméraire et inconscient, fanfaronna :
- C’est le passé simple du verbe « chuter » !
Je n’étais pas loin de lui donner raison mais Monsieur
esquissa un sourire énigmatique qui me rendit perplexe.
- Tu en es sûr ?
- Oui, M’sieur.
- Et pourquoi pas l’impératif du verbe « se taire », ironisa-t-il,
visiblement content de sa …chute !
- Non, « chûtes » n’est
pas le passé simple du verbe « chuter » qui donne :
« vous chutâtes » à la deuxième personne du pluriel mais
le passé simple du verbe « choir » : « vous chûtes ». Choir signifie tomber.
« Tire la chevillette, la bobinette cherra, renchérit Monsieur qui
visiblement connaissait ses classiques. C’est un verbe du 3ème
groupe », conclut-il.
- Il peut pas dire « se casser la gueule » comme tout le
monde, glissa malicieusement Cucu.
Monsieur qui n’avait pas les oreilles dans sa
poche l’entendit et Cucu, sur
ce coup-là, dut rendre deux bons points.
Puis Monsieur retourna le tableau mobile sur lequel il avait aligné une
brochette de dix verbes, conjugués au passé simple, aussi farfelus les uns que
les autres : « vous tûtes - vous mîtes - vous lûtes - vous tîntes - vous
bûtes - je mime - nous fûmes - je fume -nous fîmes - nous plûmes ».
Le jeu consistait à retrouver le groupe et l’infinitif desdits verbes[1]. Vicelard
comme pas un, Monsieur avait glissé, çà et là, un ou deux pièges, histoire de
fixer notre attention (en l’occurrence des verbes conjugués au présent de
l’indicatif mais vous les aviez repérés !).
A la lecture des verbes, la petite cervelle poids-plume de Lulu avait
triplé de volume et pesait bien plus lourd que l’enclume de Julien, le maréchal-ferrant.
Ca bouillait, bouillonnait, tourbillonnait dans son crâne : le passé
simple, conquérant et allègre, étant bien trop compliqué pour sa petite tête
d’étourneau. Avec son mètre jaune rigide, Monsieur pointa chacun des verbes et
nous interrogea du regard.
·
Il nous proposa, une semaine plus tard, l’exercice
inverse : conjuguer, à la deuxième personne du pluriel du passé simple,
les dix verbes suivants que je livre à votre réflexion : « plaire - croire-croître
- cuire - mouvoir - bâtir - battre - coudre - savoir - pouvoir[2]».
Puis, en guise de conclusion, il écrivit, en français, le célèbre : « veni, vidi, vici » (je
vins, je vis, je vainquis) que nous dûmes conjuguer à la deuxième personne du
pluriel du passé simple, ce qui donna : « vous vîntes, vous
vîtes, vous vainquîtes ». Nous en fûmes quittes ce jour-là, Monsieur
ayant atteint visiblement son but et apparemment plus vite que prévu.