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LEÇON DE MORALE
Tous les lundis matins, Monsieur nous racontait une petite histoire qu’il
concluait par une phrase de morale, écrite au tableau de sa plus belle écriture
(en prenant soin d’ouvrir et de fermer les guillemets). La morale de Monsieur était
souvent synonyme de volonté, de courage et d’effort. Il la tirait de la sagesse
populaire et des sept péchés capitaux qui sont (?) : « la
paresse, l’orgueil, la gourmandise, la luxure, l’avarice, la colère et l’envie ».
La morale de Monsieur se rapprochait aussi des dix commandements de Bénoni
et des précieux conseils de La Fontaine, du genre : « Garde-toi, tant
que tu vivras de juger les gens sur la mine ».
Remarquez, la sagesse populaire n’a pas peur de se contredire. Plus
d’un proverbe bien pensé peut être démenti par un autre proverbe aussi convaincant.
Ainsi, si on prétend que « les voyages forment la jeunesse », on affirme
aussi que « pierre qui roule n’amasse pas mousse ». Si on dit qu’« il
ne faut pas se fier aux apparences », on sous-entend par ailleurs qu’« il
n’y a pas de fumée sans feu ». « Tel père, tel fils »
s’oppose encore à « père avare, fils prodigue ». On n’est pas à une
contradiction près (et je suis moi-même parfois tiraillé par les mêmes
contradictions).
·
Monsieur débuta l’année par le b-a, ba : la
politesse qu’il nous invita à mieux pratiquer. Dire : merci, bonjour, au
revoir, pardon, s’excuser, respecter son voisin, céder sa place dans le bus aux
personnes âgées... Rien que du très normal en somme, enseigné aussi par les
parents. Maman disait : « Il n’y a rien de plus grand que de laisser
passer quelqu’un devant soi ou de dire pardon ! »
·
Parmi les autres vertus, Monsieur exhortait la
prudence, la patience et l’humilité. Maman participait activement à cette
éducation de respect et de tolérance en découpant soigneusement dans
Quand on rechignait, elle disait aussi : « Mon chien a été
tué d’attendre » mais aussi : « Y a rien qui passe sans que
ça repasse » (c’est pas faux pour un baudet). Ou encore : «
Quand on n’a pas ce que l’on aime, il faut aimer ce que l’on a. » Elle disposait
également d’un arsenal de dictons qui valait bien toutes les prévisions météorologiques
d’Albert Simon.
·
Moi, ce que j’ai retenu de la morale et appris
surtout de la vie (depuis que j’ai l’âge de comprendre les choses), c’est qu’avant
de pointer du doigt les autres, il faut d’abord balayer devant sa porte. Comme
on dit : « On voit souvent la paille qui est dans l’œil de l’autre
mais rarement la poutre qui est dans le nôtre. »
·
J’ai souvent remarqué aussi que ceux qui sont toujours
prompts à donner des leçons d’humanité à la terre entière sont aussi les
premiers à ne pas dire bonjour à leurs voisins de pallier ou pire encore à
faire la guerre à leur quartier entier. Moralisateurs à distance et intolérants
chez eux.
En fait, j’ai appris que les donneurs de leçons donnent rarement
l’exemple et que la morale se conjugue à la première personne. Je me comprends
quand je dis ça. J’ai surtout appris que la vie ne change pas les imbéciles ni les
méchants. L’oncle René dit même que les imbéciles, ils ont encore de beaux
jours devant eux.