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LEÇON DE CHOSES

 

POMME DE DISCORDE

 

 

A propos de pomme, personne n’oublia d’apporter  la sienne pour illustrer la leçon de choses que Monsieur consacra aux fruits. Y en avait de belles rouge écarlate, des jaunes, des vertes et des pas mûres. Paraît qu’il y a dix mille variétés de pommes en France, alors vous pensez bien qu’on avait l’embarras du choix. Sauf que je n’en connaissais que quatre : la golden, la reinette, les pommes du jardin et les pommes du verger voisin de chez Monsieur Caupain. C’étaient mes préférées. Vertes et dures, elles avaient le goût particulier des fruits maraudés (même si elles me tiraillaient l’estomac après).

 

 Lulu avait déjà mordu dans la sienne lorsque Monsieur nous demanda de la décrire. Dudu parla de sa rondeur, Cucu de sa couleur et Lulu n’eut pas le temps d’évoquer sa…saveur que Monsieur le réprimanda vertement. Moi, je contemplais une coccinelle qui s’était posée sur la table. Une coccinelle à sept points. Paraît que c’est la plus répandue dans la région mais il en existe sous des formes très variées, affichant entre 1 et 19 points (je l’ai lu dans le Reader’s Digest). Moi, je dis que celui qui dit (que j’ dis qui dit qu’on dit) que le nombre de points correspond à son âge, il a faux. Archi faux. Rien à voir. La coccinelle ne vit guère plus que quelques mois. Le papillon, c’est pire encore : une quarantaine de jours. Le temps de se nourrir, de s’accoupler, de pondre et de mourir. Cucu, il dit que les larves des papillons ne pensent qu’à bouffer et les papillons qu’à baiser ! Quant à l’araignée, elle vit souvent d’avril à novembre. Je vous fais la totale, comme ça, si mon bouquin ne vous passionne pas beaucoup, vous pourrez toujours distiller ces petites infos au cours de vos repas festifs. Ça épatera vos amis. Continuez à le feuilleter, je vous en apprendrai d’autres.

Par exemple : affirmer que la coccinelle est une bête à bon Dieu émane d’une très ancienne croyance qui dit que la coccinelle symbolise la Sainte-Vierge. Née sous une bonne étoile, elle est censée porter chance et jouit d’une excellente réputation (sa larve est grande dévoreuse de pucerons, elle peut en manger cent par jours). Le fait qu’elle soit bête à bon Dieu lui évite bien souvent de finir écrabouillée comme une vulgaire mouche (tant mieux pour elle et tant pis pour les mouches).

Sa réputation d’augure météorologique lui laisse également une chance de s’enfuir loin du danger. Vous savez qu’on peut la consulter pour connaître le temps qu’il fera, c’est maman qui le dit : il suffit de la placer au bout de son index. Si elle s’envole, c’est signe de beau temps, sinon : la pluie n’est pas loin. Remarquez, ces prédictions ne sont pas pires que celles de la grenouille d’Albert Simon (pour la petite histoire, j’ai longtemps cru qu’Albert Simon était marié avec Madame Soleil ! Je ne sais pas où je suis allé chercher ça). On dit aussi que quand la coccinelle fait soudainement demi-tour sur votre doigt, c’est qu’elle n’est pas contente ! Je ne vois vraiment pas pourquoi.

 

La petite coccinelle déploya ses élytres, s’envola et se posa sur ma paume de main. C’est justement le moment que choisit Monsieur pour nous demander de couper la nôtre en deux.

- Qu’y a-t-il à l’intérieur de votre pomme ? interrogea-t-il.

Je ne sais pas ce qui m’a pris, mais pensant que la question m’était directement adressée, j’ai répondu du tac au tac :

- Une coccinelle !

Monsieur se gratta le sommet du crâne avant d’ébaucher une moue évasive. Impossible de savoir s’il était perplexe ou s’il avait une démangeaison. Sa réponse teintée d’ironie m’ôta rapidement le doute.

- Un ver, je veux bien mais une coccinelle !

Voilà que Monsieur se fichait de ma poire.

- Où êtes-vous ? déplora-t-il.

La poésie de Prévert me traversa l’esprit. Je suis où je ne suis pas - et dans le fond à la réflexion - être où ne pas être - c’est peut-être aussi la question.

Monsieur était bien gentil mais il y avait bel et bien une coccinelle qui me chatouillait la paume de main. Je crois que les adultes ne voient pas toujours ce que voient les enfants. Et c’est tant mieux pour les enfants.

 

Monsieur ne disséquait pas que des fruits en les tranchant en deux pour y repérer les pépins ou les noyaux, il pratiquait aussi ce qu’il appelait : la vivisection. Figurez-vous qu’un jour, il est arrivé avec une grenouille dans une boîte à chaussures et nous a réunis autour de son bureau. Avec un morceau d’ouate, imbibé de chloroforme, il l’a anesthésiée et l’a allongée sur une planche, ventre en l’air. Puis il l’a écartelée en fixant des épingles à travers les palmes de ses pattes. On aurait dit Jésus-Christ cloué sur la croix (ou Ravaillac écartelé). Ensuite, avec une lame de rasoir, il l’a incisée sur toute la longueur du ventre. Moi, j’ai failli défaillir. A cause de l’odeur du chloroforme. Normal. Et puis, avec une petite pince à épiler, il a rabattu les pans de peau de la pauvre bestiole et les a fixés avec des épingles. La leçon de choses pouvait commencer. Avec sa pince, il a pointé des espèces de haricots roses qui se gonflaient et se dégonflaient. « Ce sont les poumons » qu’il a dit. Il en a soulevé un délicatement et on a aperçu le cœur qui battait à toute vitesse. Puis, il nous a montré le foie, les reins et tout le reste.

A la fin de la leçon, Monsieur n’a pas jugé utile de recoudre la grenouille. Il l’a donnée pour morte à Cucu qui la réclamait à cor et à cri, je ne sais pas pourquoi. Le lendemain, Cucu est arrivé tout excité. V’là t-i pas que la grenouille était ressuscitée des morts. Son père Amédée avait réussi à la recoudre. Paraît que quand elle s’est mise à coasser, le Cucu en est resté coi !