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LEÇON SUR LES HOMONYMES

 

LA VOIX DU MAITRE

 

 

Ce jour-là, la leçon portait sur les homonymes :  Il était une fois - une marchande de foie -  qui vendait du foie - dans la ville de Foix.  Vous connaissez !

Monsieur insista pour qu’on ne confondît point l’orthographe de « balade » (synonyme de promenade) et « ballade » (synonyme de chanson à danser ou poème en citant l’exemple de La Ballade des Pendus de François Villon). Je ne sais pas pourquoi mais j’hésite encore aujourd’hui. Puis, à la surprise générale, Monsieur se prit pour Luis Mariano et entonna à gorge déployée et a cappella :

 

  « La belle de Cadix a des yeux de velours

La belle de Cadix vous invite à l’amour           

Tchic a tchic a tchic  aïe aïe aïe

Tchic a tchic a tchic  aïe aïe aïe »

 

Au dernier « aïe », il écarta bras et jambes et stoppa net. Puis il enchaîna, déchaîné :

 

  « Mexico ôôôôô »

 

On était tous interloqués, bouche ouverte, comme poissons rouges dans un bocal. Pour peu, on lui aurait fait une standing ovation. Monsieur était devenu tout violet, prêt à éclater, comme la grenouille qui veut se faire aussi grosse que le boeuf. Reprenant difficilement son souffle pour avoir pris trop haut (et un peu faux) le « o » prolongé de Mexico, notre chanteur d’opérette, toujours en position : bras et jambes écartés, nous interpella, en décochant un regard interrogateur :

- Qu’est-ce que je fais ? 

- Vous chantez, s’enthousiasma collégialement la classe éberluée.

On craignit un moment qu’il rétorquât : « Eh bien, dansez maintenant. » Pas du tout, Monsieur confirma notre réponse d’un sourire approbateur :

- Oui, je chante. Eh bien, désormais, quand vous écrirez « voix » dans le sens de l’organe de la parole, vous n’oublierez jamais de mettre un X à la fin, en pensant au chanteur d’opérette qui écarte bras et jambes et forme un X pour se donner de la… voix. 

Bien joué car je n’ai plus jamais commis la faute. A chaque fois, je revoyais Monsieur (rouge comme une tomate) se métamorphoser en Luis Mariano. Sauf que question justesse, c’était plutôt La Castafiore (version homme!).

 

Fort de son petit succès, j’aurais bien aimé qu’il participe au Jeu de la Chance  de Roger Lanzac. Comme ça, il aurait pu imiter son chanteur préféré et se confronter aux autres candidats. Remarquez, je n’aurais peut-être pas été déçu car côté imitations (voire pâles copies), on était plutôt servis au  Jeu de la chance  : Georgette Lemaire imitait Edith Piaf (pourtant inimitable), Mireille Mathieu imitait Georgette Lemaire et Thierry Le Luron imitait tout le monde. A bien réfléchir, je l’aurais plutôt expédié au Petit Conservatoire  de Mireille pour qu’il apprenne à chanter et surtout pour qu’il se fasse remonter les bretelles. Je suis certain qu’il n’aurait pas bronché devant la petite Mireille, toute sèche et autoritaire. Blague à part, Monsieur avait quand même plusieurs cordes …vocales à son arc et son timbre de voix nous avait quand même laissés plutôt pantois.

 

Il ne s’arrêta pas en si bonne voie. Après son étonnante prestation (qui manquait de souffle mais qui ne manquait pas d’air), Monsieur en sortit dix de derrière les fagots :

 

   « air – aire – Aire – ère – haire – hère – erre – ers – Er – Eire ».

 

Le jeu consista à boucher les trous d’r en les replaçant dans un texte qu’il avait concocté. Boucher les trous, c’était un exercice auquel on était coutumiers grâce au Bled. Ben ouais, le Bled, vous connaissez ? C’était notre bible à nous. Le top du top. Tout, tout, tout, vous saurez tout sur la grammaire et la conjugaison avec le Bled. Il portait bien son nom, le Bled. En effet « bled » signifie village en arabe. Un trou, quoi ! Eh bien, le Bled, il en était bourré. Un vrai gruyère ! A la différence près, c’est que les trous, fallait les combler sinon Monsieur en faisait tout un fromage.

                                                                       

« De quoi a l’air, cet homme qui erre comme un pauvre hère dans l’air du temps. Vêtu d’une haire, cet homme qui erre, est-il comme Er, un revenant… ».

 

Je m’étais attelé à la tâche lorsque Lulu en fit une énorme sur son cahier. Tâche et tache ! Tiens, tiens ! lequel des deux mots prend un accent circonflexe ? Je me tâte. « Certains homonymes ne se distinguent que par la présence d’un accent », affirme Monsieur. Paraît que c’est pour les différencier à l’écrit. Moi je veux bien mais je ne sais jamais sur lequel je dois le mettre. Alors, ça sert à rien. Là, je l’aurais bien mis sur le « a » de la tache de Lulu, histoire de la visualiser un peu plus. Elle était tellement énorme. Eh bien non, le « a » de la tache de Lulu ne prend pas d’accent circonflexe. Tâchez de vous en souvenir. Remarquez, la tache de Lulu se dit aussi : pâté. « Bon sang, mais c’est bien sûr », elle est là, la tache, sur le « a » de pâté. Ne l’oubliez pas non plus, c’est à votre portée.