9
LEÇON SUR LES HOMONYMES
LA VOIX DU MAITRE
Ce jour-là, la leçon portait sur les homonymes : Il était une fois - une marchande de
foie - qui vendait du foie - dans la
ville de Foix. Vous connaissez !
Monsieur insista pour qu’on ne confondît point l’orthographe de « balade »
(synonyme de promenade) et « ballade » (synonyme de chanson à danser ou poème en citant l’exemple de
« La belle de Cadix a des yeux de velours
La belle de Cadix vous invite à
l’amour
Tchic a tchic a tchic aïe aïe aïe
Tchic a tchic a tchic aïe aïe aïe »
Au dernier « aïe », il écarta bras et jambes et stoppa net.
Puis il enchaîna, déchaîné :
« Mexico ôôôôô »
On était tous interloqués, bouche ouverte, comme poissons rouges dans
un bocal. Pour peu, on lui aurait fait une standing ovation. Monsieur était
devenu tout violet, prêt à éclater, comme la grenouille qui veut se faire aussi
grosse que le boeuf. Reprenant difficilement son souffle pour avoir pris trop
haut (et un peu faux) le « o »
prolongé de Mexico, notre chanteur d’opérette, toujours en position : bras
et jambes écartés, nous interpella, en décochant un regard interrogateur :
- Qu’est-ce
que je fais ?
- Vous
chantez, s’enthousiasma collégialement la classe éberluée.
On craignit un moment qu’il rétorquât : « Eh bien, dansez
maintenant. » Pas du tout, Monsieur confirma notre réponse d’un sourire approbateur
:
- Oui, je
chante. Eh bien, désormais, quand vous écrirez « voix » dans le sens de l’organe de la parole, vous n’oublierez
jamais de mettre un X à la fin, en pensant au chanteur d’opérette qui écarte bras
et jambes et forme un X pour se donner de la… voix.
Bien joué car je n’ai plus jamais commis la faute. A chaque fois, je revoyais
Monsieur (rouge comme une tomate) se métamorphoser en Luis Mariano. Sauf que
question justesse, c’était plutôt La Castafiore (version homme!).
Fort de son petit succès, j’aurais bien aimé qu’il participe au Jeu de
Il ne s’arrêta pas en si bonne voie. Après son étonnante prestation (qui
manquait de souffle mais qui ne manquait pas d’air), Monsieur en sortit dix de derrière
les fagots :
« air – aire – Aire – ère –
haire – hère – erre – ers – Er – Eire ».
Le jeu consista à boucher les trous d’r en les replaçant dans un texte qu’il avait concocté. Boucher les
trous, c’était un exercice auquel on était coutumiers grâce au Bled. Ben ouais,
le Bled, vous connaissez ? C’était notre bible à nous. Le top du top. Tout,
tout, tout, vous saurez tout sur la grammaire et la conjugaison avec le Bled.
Il portait bien son nom, le Bled. En effet « bled » signifie village
en arabe. Un trou, quoi ! Eh bien, le Bled, il en était bourré. Un vrai
gruyère ! A la différence près, c’est que les trous, fallait les combler
sinon Monsieur en faisait tout un fromage.
« De quoi a l’air, cet
homme qui erre comme un pauvre hère dans l’air du temps. Vêtu d’une haire,
cet homme qui erre, est-il comme Er, un revenant… ».
Je m’étais attelé à la tâche lorsque Lulu en fit une énorme sur son
cahier. Tâche et tache ! Tiens, tiens ! lequel des deux mots prend un
accent circonflexe ? Je me tâte. « Certains homonymes ne se
distinguent que par la présence d’un accent », affirme Monsieur. Paraît
que c’est pour les différencier à l’écrit. Moi je veux bien mais je ne sais
jamais sur lequel je dois le mettre. Alors, ça sert à rien. Là, je l’aurais bien
mis sur le « a » de la
tache de Lulu, histoire de la visualiser un peu plus. Elle était tellement énorme.
Eh bien non, le « a » de la tache de Lulu ne prend pas d’accent
circonflexe. Tâchez de vous en souvenir. Remarquez, la tache de Lulu se dit
aussi : pâté. « Bon sang, mais c’est bien sûr », elle est là, la
tache, sur le « a » de pâté. Ne l’oubliez pas non plus, c’est à votre
portée.