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LEÇON D’HISTOIRE
Monsieur n’avait pas son pareil pour nous raconter l’Histoire de France.
Plus fort encore qu’Alain Decaux, le conteur à lunettes de la télé qui collait
son nez contre l’écran et suait à grosses gouttes sous la chaleur des
projecteurs. Monsieur avait un énorme avantage sur lui : il avait
participé à toutes les batailles, assisté à tous les sacres et, dans le secret
des alcôves, avait été au faîte de toutes les vilenies et trahisons du royaume.
Une vraie petite souris. Il connaissait tout des grandes nuits et des petits
matins de l’Histoire de France. Sûr qu’il devait en être à sa dixième réincarnation.
Vous ne savez peut-être pas mais c’est lui qui tenta de retenir le bras
de Vercingétorix avant qu’il jette ses armes aux pieds de Jules César. En l’an 800, il assiste au couronnement de Charlemagne
par le pape Léon III. Exhortant la foule, il crie sur son passage : « A
Charles, Auguste, couronné par Dieu, grand et pacifique empereur des Romains,
vie et victoire ! » Je
crois bien qu’il appréciait Charlemagne parce que, comme lui, il se souciait de
l’orthographe et s’indignait de recevoir de certains couvents des lettres bourrées
de fautes.
Sa modestie, dût-elle en souffrir, mais je me demande bien si le poète
inconnu qui a composé
A chaque leçon d’histoire, trente bouches grandes ouvertes gobaient les
mouches silencieusement. En une seconde, Monsieur nous transportait sur la
plaine de Waterloo ou dans les salons d’honneur du château de Versailles. Vous
l’auriez vu galoper sur son cheval, vous auriez galopé à ses côtés. Il mimait
les épisodes, les revivait et parlait de Richelieu, Mazarin et Colbert comme
s’il les avait côtoyés personnellement. A ses mots, leur fantôme refaisait
surface et hantait toute la classe. Précis dans le récit, Monsieur nous impressionnait
aussi par l’étendue de ses connaissances et sa mémoire des dates. Moi, parfois,
dans ma petite tête, je refaisais l’histoire de France à ma façon. Je me
disais : « Tiens, qu’est-ce qui serait arrivé si les
arabes avaient triomphé à Poitiers ou si Louis XVI avait réussi sa fuite. »
« Si ma tante s’appelait mon oncle, elle en aurait deux », me claquait
dans les dents Cucu, anéantissant toutes mes supputations (ça ne vous arrive
jamais de supputer sur votre propre histoire ? Alors).
Parfois, Monsieur se déguisait pour faire plus vrai. Une fois, il est arrivé
avec une espèce de collerette autour du cou. On s’est dit : ça y est,
Monsieur va nous parler du bon roi Henri IV et de sa poule au pot. Pas de
pot, Monsieur s’était tout simplement tordu le cou en déplaçant une vieille armoire
normande le week-end et cette contorsion avait nécessité la pose d’une minerve
(je vous le disais que Monsieur n’était pas un grand bricoleur).
Pour illustrer ses leçons d’Histoire, il découpait régulièrement des images dans des revues qu’il présentait à
toute la classe. Je me souviens qu’une fois, en file indienne, on avait dû
défiler devant La Joconde. Vous ne me croirez peut-être pas mais, dès que
je me suis levé jusqu’à ce que je passe devant elle, elle ne m’avait pas quitté des yeux. Je vous jure
que c’est vrai. Son regard, rien que pour moi. J’en étais rouge de confusion. Pourtant
La Joconde, elle était plutôt moche
et grosse (faut croire qu’avant, l’obésité était le canon de la beauté et la
boulimie un critère de santé !). En plus, avec son air triste, on aurait
dit que La Joconde, elle attendait la
fin du monde !
Un jour, Monsieur afficha une superbe photo noir et blanc. Quelle formidable surprise ! C’était un
clicher de l’oncle René et de la tante Berthe, posant à côté de leur cheval de
trait. Moi, j’étais super fier que ma tante Berthe prenne la place de La Joconde. Sur la photo, le même air
crispé que la madone mais c’était normal : s’exposer devant toute la
classe, c’était pas évident pour elle ! Elle était si timide et menue. Souhaitant
illustrer une leçon sur l’origine et l’histoire d’Achicourt et sur sa population
au 19ème siècle, Monsieur
avait tout simplement sélectionné une photo du célèbre photographe achicourien :
Charles Lecointe[i] (si vous aviez un peu de
temps, je vous parlerais bien de l’histoire d’Achicourt mais je vois bien que
vous êtes pressé(e) alors ce sera pour une prochaine fois, ceux (et celles) qui
veulent en savoir plus peuvent se reporter à la fin de l’ouvrage[ii]).
Moi, je dis qu’avec Internet, ça serait bien de scanner la photo de tante
Berthe et de la diffuser dans le monde entier (Jojo, au travail). Tante Berthe s’est éteinte en août 1971.
Avec Philippe, on a appris la nouvelle sur la plage de Cayeux. Cette année-là, on avait joué les aventuriers en stop et on
était entrés au camping de Cayeux dans la benne du camion municipal, en
triomphateurs (un peu comme le Général Leclerc dans les rues de Paris, le jour
de la libération). Avec notre côté Globe-trotters,
on n’a pas bougé de là. Simplement une escapade au Portel.
[i] CHARLES LECOINTE
est né à Arras en 1884. Les fugues régulières qu’il effectue dès 1890 sur les
remparts d’Arras le conduisent à se lier d’amitié avec le Père Gonsseaume,
aquarelliste et photographe qui lui fait découvrir un photographe
professionnel : Joseph Quentin. Après avoir poursuivi ses études primaires
à Saint-Jean Baptiste et au Louez-Dieu, il devient imprimeur à Achicourt en 1918 et crée sa
propre imprimerie un an plus tard dans la localité. A cette époque, il
rencontre le chanoine Laroche qui l’initie à l’art des conférences sur thèmes
avec supports photos.
Dès 1933, avec son gendre L. Nison, il travaille la
photographie au charbon. Il obtient le Prix de Rome de photographie en 1937 et
remporte le challenge artésien dit « Marthe Chrétien » la même année.
En 1930, il collectionne déjà 36000 photos sur verre et anime
des conférences en Artois dont les thèmes sont imprégnés des travaux des champs
et immortalisent Achicourt et ses environs.
Charles Lecointe s’est éteint en 1975 mais son
œuvre continue de vivre. En 1977, sa fille Marie-Thérèse Nison-Lecointe publie Achicourt : regards sur le passé,
illustré par 70 photographies.
En 1988, une
première exposition Charles
Lecointe, photographe de l’Artois est présentée à Arras en juin,
salle de l’harmonie (80 tirages modernes). Cette exposition, après avoir
sillonnée de nombreuses villes de France (Strasbourg, Gap, Hendaye…) est
enrichie de 60 nouveaux tirages et est présentée au Musée des Beaux-Arts
d’Arras.
En 1992, l’exposition remodelée, est accrochée à
nouveau au Musée d’Arras conjointement à la publication d’un recueil de 60 photos :
« Scènes de la vie rurale ».
La même année, un bel ouvrage « Images de campagne » publié avec
l’appui du Conseil Général du Pas-de-Calais valorise encore une cinquantaine de
photographies de l’artiste.
[ii] HISTOIRE D’ACHICOURT :
Avant de s’appeler
Achicourt, le nom du village a connu plusieurs orthographes :
1027 : Harcicorte - 1047 : Harcicortis
- 1218 : Herchicourt
1225 : Hachicourt - 1237 : Harchecort - 1258 : Hachicourt
1267 : Harchycort - 1271 : Harcicourt - 1270 : Harchicourt
1272 : Hacycourt - 1310 : Hachicourt - 1707 : Achicourt
Différentes hypothèses
expliquent l’origine du nom. Achicourt pourrait provenir de :
- Harcia
qui signifie : osier en latin, la
commune étant bâtie sur un endroit marécageux.
- Ache
qui signifie un champ cultivé. On
retrouve ce préfixe dans Acheux ou Acheville.
-
Achinus qui viendrait du bas latin et signifierait : jardinier. Ces deux derniers noms mettent
l’accent sur la vocation jardinière qu’a toujours eue Achicourt.
- Haricerius qui aurait été un habitant de l’endroit sur lequel
est bâtie la commune actuelle.
L’origine d’Achicourt remonte au VIIe
siècle. Le diplôme par lequel, Thierry III, roi
des Francs, fait donation de 1400 arpents de terre à Saint-Vindicien, évêque d’Arras, pour la dotation de l’Abbaye de
Saint-Vaast mentionne le « Pouvoir de Hées » (Manse in Hadis). Le
Pouvoir de Hées est la rue la plus ancienne d’Achicourt. Elle fut longtemps
appelée
Trois seigneuries se
partagent le territoire : La seigneurie de Hées, la seigneurie de
La seigneurie de Hées s’étend de
La seigneurie de
La
seigneurie de Harcicort est séculière. Elle s’étend depuis l’église de Hées (ancienne église détruite en
1914), au milieu du vieux cimetière jusque vers le territoire d’Agny et de
Wailly.
L’histoire d’Achicourt est intimement
liée à celle d’Arras. La commune a souvent subi le contrecoup des divers sièges
de la capitale atrébate.
De 1635 à 1654, le village est plusieurs
fois ravagé par les armées espagnoles et françaises.
En 1635, les troupes espagnoles et
wallonnes du Comte de Frestin campent près d’un mois aux environs d’Achicourt,
au moment des moissons, et consomment toutes les récoltes de la terre.
En 1636, l’armée du roi d’Espagne, au
retour du siège de Corbie, loge en partie pendant deux mois à Achicourt et
détruit le peu de fruits de la récolte de l’année précédente.
En 1637, la garnison d’Arras vit à
discrétion dan le village.
En 1638, l’armée espagnole, revenant du
siège de Saint-Omer, entre à Achicourt le 24 août, pille tous les jardins,
détruit les maisons et chasse de celles-ci laboureurs et jardiniers.
En 1640, le siège d’Arras achève le
désastre d’Achicourt.
En 1642, l’armée française du Comte
d’Harcourt se rendant à
En 1654, les tranchées de l’attaque
dirigée par le prince de Condé commencent dans les jardins d’Achicourt.
De 1709 à 1712, la région est le théâtre
de combats de la guerre de succession d’Espagne. Les habitations d’Achicourt
sont rasées sur l’ordre de D’Artagnan, gouverneur d’Arras, dans la crainte de
voir les ennemis s’en servir d’appui pour leurs travaux de défense. Le village
n’est plus qu’un champ militaire et l’église est utilisée pour loger les
Officiers.
En 1740, la seigneurie est achetée par le colonel de Cécille du Régiment de
Bruxelles au service de
Le village connaît ensuite une histoire
calme et ne revoit des soldats qu’en 1814 et 1870, sans dégâts très graves.
En 1815, après le désastre de Waterloo,
les alliés logent dans la commune.
En 1820, Achicourt compte 1246
habitants. 740 d’entre eux travaillent dont près de 90 % dans l’agriculture
(347 hommes et 342 femmes).
La majorité de ces travailleurs de la
terre sont des jardiniers (316 hommes et 314 femmes), c'est-à-dire des petits
maraîchers, spécialisés dans la production de légumes. Ils se livrent à la
culture de leurs jardins avec une infatigable activité, tout au long de
l’année. Ces jardiniers approvisionnent le marché d’Arras à dos d’âne. Les
femmes accomplissent les travaux délicats, notamment la préparation des légumes
avant la vente au marché.
Les légumes, en provenance d’Achicourt
sont tellement renommés qu’au temps de
Avec les jardiniers,
les cultivateurs forment la deuxième catégorie d’agriculteurs. Parfois
confondus aux journaliers, ce sont des exploitants qui cultivent des produits
nécessitant moins de soin (céréales, pommes de terre…) et utilisent de plus
grandes parcelles de terrain. Ce groupe paraît correspondre à un niveau de vie
sensiblement supérieur à celui des jardiniers.
Les journaliers
constituent un troisième ensemble. Il s’agit de salariés agricoles sans
précision de rôle. En 1856, le salaire journalier d’un ouvrier agricole se
monte à
Les agriculteurs cultivent :
froment, méteil (mélange du seigle et du froment), seigle, avoine, pommes de
terre, légumes secs, betteraves, colza, orge et cultures de jardin (carottes,
poireaux...). C’est l’orge qui paraît être la céréale la plus répandue à
l’époque.
Les jardins, en bordure du Crinchon,
représentent un petit tiers du terroir. La culture abondante de la carotte est
notamment produite pour la consommation arrageoise. Cette activité nécessite
une main-d’œuvre nombreuse et minutieuse.
Concernant l’outillage
agricole, en 1882, on compte 80 charrues simples, 40 houes à cheval, 9 machines
à battre.
La presque totalité du reste des
habitants exerce un métier artisanal en étroite relation avec les travaux des
champs.
En 1820, on dénombre 40 artisans (19
hommes et 21 femmes) dont 2 maréchaux-ferrants, 5 meuniers, 2 tonneliers, 2
charrons et 3 ollieux. Les ollieux travaillent à la fabrication de l’huile à
partir du colza et de l’oeillette. En 1851, on recense également 1 tueur
de…porcs et en 1872 : 2 bourreliers et 1 faiseur de cercles. En 1820, les
cordonniers sont au nombre de 3. Ils sont 7 en 1851 et 9 en 1872. On trouve
également des horlogers, des barbiers, des vanniers, des chiffonniers et des
serruriers.
La deuxième partie du siècle entraîne
l’apparition de nouvelles catégories professionnelles se rattachant à
l’industrie et aux transports (chemin de fer).