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LEÇON D’HISTOIRE

 

 

Monsieur n’avait pas son pareil pour nous raconter l’Histoire de France. Plus fort encore qu’Alain Decaux, le conteur à lunettes de la télé qui collait son nez contre l’écran et suait à grosses gouttes sous la chaleur des projecteurs. Monsieur avait un énorme avantage sur lui : il avait participé à toutes les batailles, assisté à tous les sacres et, dans le secret des alcôves, avait été au faîte de toutes les vilenies et trahisons du royaume. Une vraie petite souris. Il connaissait tout des grandes nuits et des petits matins de l’Histoire de France. Sûr qu’il devait en être à sa dixième réincarnation.

 

Vous ne savez peut-être pas mais c’est lui qui tenta de retenir le bras de Vercingétorix avant qu’il jette ses armes aux pieds de Jules César.  En l’an 800, il assiste au couronnement de Charlemagne par le pape Léon III. Exhortant la foule, il crie sur son passage : « A Charles, Auguste, couronné par Dieu, grand et pacifique empereur des Romains, vie et victoire ! »  Je crois bien qu’il appréciait Charlemagne parce que, comme lui, il se souciait de l’orthographe et s’indignait de recevoir de certains couvents des lettres bourrées de fautes.

Sa modestie, dût-elle en souffrir, mais je me demande bien si le poète inconnu qui a composé La Chanson de Roland (le premier chef d’œuvre de notre littérature vers 1080), ce n’était pas lui. Ne soyez pas surpris non plus que la voix de Saint-Michel qui ordonna à Jeanne d’Arc de quitter son village natal pour bouter les Anglais hors de France fût aussi la sienne. Je le soupçonnais d’avoir assisté à l’assassinat d’Henri IV par Ravaillac sans avoir même bougé le petit doigt. Moi, je l’aurais bien inculpé pour non assistance à personne en danger. Vous l’ignorez peut-être mais le témoin qui a reconnu l’infortuné Louis XVI à la halte de Sainte-Menehould avant son arrestation à Varennes, c’était encore lui. Si, si ! Ne cherchez plus non plus celui qui se cachait derrière le masque de fer.

 

A chaque leçon d’histoire, trente bouches grandes ouvertes gobaient les mouches silencieusement. En une seconde, Monsieur nous transportait sur la plaine de Waterloo ou dans les salons d’honneur du château de Versailles. Vous l’auriez vu galoper sur son cheval, vous auriez galopé à ses côtés. Il mimait les épisodes, les revivait et parlait de Richelieu, Mazarin et Colbert comme s’il les avait côtoyés personnellement. A ses mots, leur fantôme refaisait surface et hantait toute la classe. Précis dans le récit, Monsieur nous impressionnait aussi par l’étendue de ses connaissances et sa mémoire des dates. Moi, parfois, dans ma petite tête, je refaisais l’histoire de France à ma façon. Je me disais :  « Tiens, qu’est-ce qui serait arrivé si les arabes avaient triomphé à Poitiers ou si Louis XVI avait réussi sa fuite. » « Si ma tante s’appelait mon oncle, elle en aurait deux », me claquait dans les dents Cucu, anéantissant toutes mes supputations (ça ne vous arrive jamais de supputer sur votre propre histoire ? Alors).

 

Parfois, Monsieur se déguisait pour faire plus vrai. Une fois, il est arrivé avec une espèce de collerette autour du cou. On s’est dit : ça y est, Monsieur va nous parler du bon roi Henri IV et de sa poule au pot.  Pas de pot, Monsieur s’était tout simplement tordu le cou en déplaçant une vieille armoire normande le week-end et cette contorsion avait nécessité la pose d’une minerve (je vous le disais que Monsieur n’était pas un grand bricoleur).

Pour illustrer ses leçons d’Histoire, il découpait régulièrement des  images dans des revues qu’il présentait à toute la classe. Je me souviens qu’une fois, en file indienne, on avait dû défiler devant La Joconde.  Vous ne me croirez peut-être pas mais, dès que je me suis levé jusqu’à ce que je passe devant elle, elle  ne m’avait pas quitté des yeux. Je vous jure que c’est vrai. Son regard, rien que pour moi. J’en étais rouge de confusion. Pourtant La Joconde, elle était plutôt moche et grosse (faut croire qu’avant, l’obésité était le canon de la beauté et la boulimie un critère de santé !). En plus, avec son air triste, on aurait dit que La Joconde, elle attendait la fin du monde !

 

Un jour, Monsieur afficha une superbe photo noir et blanc.  Quelle formidable surprise ! C’était un clicher de l’oncle René et de la tante Berthe, posant à côté de leur cheval de trait. Moi, j’étais super fier que ma tante Berthe prenne la place de La Joconde. Sur la photo, le même air crispé que la madone mais c’était normal : s’exposer devant toute la classe, c’était pas évident pour elle ! Elle était si timide et menue. Souhaitant illustrer une leçon sur l’origine et l’histoire d’Achicourt et sur sa population au 19ème siècle, Monsieur avait tout simplement sélectionné une photo du célèbre photographe achicourien : Charles Lecointe[i] (si vous aviez un peu de temps, je vous parlerais bien de l’histoire d’Achicourt mais je vois bien que vous êtes pressé(e) alors ce sera pour une prochaine fois, ceux (et celles) qui veulent en savoir plus peuvent se reporter à la fin de l’ouvrage[ii]).

 

Moi, je dis qu’avec Internet, ça serait bien de scanner la photo de tante Berthe et de la diffuser dans le monde entier (Jojo, au travail). Tante Berthe s’est éteinte en août 1971. Avec Philippe, on a appris la nouvelle sur la plage de Cayeux. Cette année-là,  on avait joué les aventuriers en stop et on était entrés au camping de Cayeux dans la benne du camion municipal, en triomphateurs (un peu comme le Général Leclerc dans les rues de Paris, le jour de la libération). Avec notre côté Globe-trotters, on n’a pas bougé de là. Simplement une escapade au Portel.



[i] CHARLES LECOINTE est né à Arras en 1884. Les fugues régulières qu’il effectue dès 1890 sur les remparts d’Arras le conduisent à se lier d’amitié avec le Père Gonsseaume, aquarelliste et photographe qui lui fait découvrir un photographe professionnel : Joseph Quentin. Après avoir poursuivi ses études primaires à Saint-Jean Baptiste et au Louez-Dieu, il devient imprimeur à Achicourt en 1918 et crée sa propre imprimerie un an plus tard dans la localité. A cette époque, il rencontre le chanoine Laroche qui l’initie à l’art des conférences sur thèmes avec supports photos.

Dès 1933, avec son gendre L. Nison, il travaille la photographie au charbon. Il obtient le Prix de Rome de photographie en 1937 et remporte le challenge artésien dit « Marthe Chrétien » la même année.

En 1930, il collectionne déjà 36000 photos sur verre et anime des conférences en Artois dont les thèmes sont imprégnés des travaux des champs et immortalisent Achicourt et ses environs.

Charles Lecointe s’est éteint en 1975 mais son œuvre continue de vivre. En 1977, sa fille Marie-Thérèse Nison-Lecointe publie Achicourt : regards sur le passé,  illustré par 70 photographies.

  En 1988, une première exposition Charles Lecointe, photographe de l’Artois  est présentée à Arras en juin, salle de l’harmonie (80 tirages modernes). Cette exposition, après avoir sillonnée de nombreuses villes de France (Strasbourg, Gap, Hendaye…) est enrichie de 60 nouveaux tirages et est présentée au Musée des Beaux-Arts d’Arras.

En 1992, l’exposition remodelée, est accrochée à nouveau au Musée d’Arras conjointement à la publication d’un recueil de 60 photos : « Scènes de la vie rurale ».

La même année, un bel ouvrage « Images de campagne » publié avec l’appui du Conseil Général du Pas-de-Calais valorise encore une cinquantaine de photographies de l’artiste.

 

[ii] HISTOIRE D’ACHICOURT :

Avant de s’appeler Achicourt, le nom du village a connu plusieurs orthographes :

 

1027 : Harcicorte -  1047 : Harcicortis - 1218 : Herchicourt

1225 : Hachicourt - 1237 : Harchecort - 1258 : Hachicourt

1267 : Harchycort - 1271 : Harcicourt - 1270 : Harchicourt

1272 : Hacycourt -  1310 : Hachicourt - 1707 : Achicourt

 

Différentes hypothèses expliquent l’origine du nom. Achicourt pourrait provenir de :

- Harcia qui signifie : osier en latin, la commune étant bâtie sur un endroit marécageux.

- Ache qui signifie un champ cultivé. On retrouve ce préfixe dans Acheux ou Acheville.

- Achinus qui viendrait du bas latin et signifierait : jardinier. Ces deux derniers noms mettent l’accent sur la vocation jardinière qu’a toujours eue Achicourt.

- Haricerius qui  aurait été un habitant de l’endroit sur lequel est bâtie la commune actuelle.

 

L’origine d’Achicourt remonte au VIIe siècle. Le diplôme par lequel, Thierry III, roi des Francs, fait donation de 1400 arpents de terre à Saint-Vindicien, évêque d’Arras, pour la dotation de l’Abbaye de Saint-Vaast mentionne le « Pouvoir de Hées » (Manse in Hadis). Le Pouvoir de Hées est la rue la plus ancienne d’Achicourt. Elle fut longtemps appelée la Neuve-Rue. Elle allait jusqu’à la porte d’Haizerue (la rue des Capucins actuelle).

Trois seigneuries se partagent le territoire : La seigneurie de Hées, la seigneurie de la Vigne et la seigneurie d’Harcicort. Les deux premières appartiennent à l’abbaye Saint-Vaast.

 

La seigneurie de Hées s’étend de la Porte Ronville au Petit-Bapaume. Il existe un moulin à Hées, situé sur le Crinchon, pas très loin de la Citadelle. En 1774, le Pouvoir de Hées est habité par 400 personnes environ. Le nombre de chevaux se chiffre à 12 alors que 52 ânes servent déjà au travail de la terre. Une centaine de brebis et autant de moutons sont répertoriés.

La seigneurie de La Vigne comprend Les Allées et une partie de la Citadelle. Les moines de l’abbaye y cultivent la vigne. En 1115, le comte Bauduin ordonne à tous les boulangers d’Arras d’aller moudre leurs grains au moulin de l’Abbaye, construit dans le Pouvoir de la Vigne.

La seigneurie de Harcicort est séculière. Elle s’étend depuis l’église de Hées (ancienne église détruite en 1914), au milieu du vieux cimetière jusque vers le territoire d’Agny et de Wailly.

 

L’histoire d’Achicourt est intimement liée à celle d’Arras. La commune a souvent subi le contrecoup des divers sièges de la capitale atrébate.

De 1635 à 1654, le village est plusieurs fois ravagé par les armées espagnoles et françaises.

En 1635, les troupes espagnoles et wallonnes du Comte de Frestin campent près d’un mois aux environs d’Achicourt, au moment des moissons, et consomment toutes les récoltes de la terre.

En 1636, l’armée du roi d’Espagne, au retour du siège de Corbie, loge en partie pendant deux mois à Achicourt et détruit le peu de fruits de la récolte de l’année précédente.

En 1637, la garnison d’Arras vit à discrétion dan le village.

En 1638, l’armée espagnole, revenant du siège de Saint-Omer, entre à Achicourt le 24 août, pille tous les jardins, détruit les maisons et chasse de celles-ci laboureurs et jardiniers.

En 1640, le siège d’Arras achève le désastre d’Achicourt.

En 1642, l’armée française du Comte d’Harcourt se rendant à La Bassée, passe par Achicourt et ravage les jardins.

En 1654, les tranchées de l’attaque dirigée par le prince de Condé commencent dans les jardins d’Achicourt.

 

De 1709 à 1712, la région est le théâtre de combats de la guerre de succession d’Espagne. Les habitations d’Achicourt sont rasées sur l’ordre de D’Artagnan, gouverneur d’Arras, dans la crainte de voir les ennemis s’en servir d’appui pour leurs travaux de défense. Le village n’est plus qu’un champ militaire et l’église est utilisée pour loger les Officiers.

En 1740, la seigneurie est achetée par le colonel de Cécille du Régiment de Bruxelles au service de la Reine de Hongrie. La dernière trace que nous avons d’un seigneur d’Achicourt date du 8 juin 1774.

Le village connaît ensuite une histoire calme et ne revoit des soldats qu’en 1814 et 1870, sans dégâts très graves.

En 1815, après le désastre de Waterloo, les alliés logent dans la commune.

LA POPULATION ET L’ECONOMIE A ACHICOURT

 

En 1820, Achicourt compte 1246 habitants. 740 d’entre eux travaillent dont près de 90 % dans l’agriculture (347 hommes et 342 femmes).

La majorité de ces travailleurs de la terre sont des jardiniers (316 hommes et 314 femmes), c'est-à-dire des petits maraîchers, spécialisés dans la production de légumes. Ils se livrent à la culture de leurs jardins avec une infatigable activité, tout au long de l’année. Ces jardiniers approvisionnent le marché d’Arras à dos d’âne. Les femmes accomplissent les travaux délicats, notamment la préparation des légumes avant la vente au marché.

Les légumes, en provenance d’Achicourt sont tellement renommés qu’au temps de la Terreur, Le Bon écrit aux membres du conseil de la commune d’Achicourt qu’il fera raser les maisons si les femmes, les baudets et les provisions cessent un seul jour d’arriver en abondance au marché.

Avec les jardiniers, les cultivateurs forment la deuxième catégorie d’agriculteurs. Parfois confondus aux journaliers, ce sont des exploitants qui cultivent des produits nécessitant moins de soin (céréales, pommes de terre…) et utilisent de plus grandes parcelles de terrain. Ce groupe paraît correspondre à un niveau de vie sensiblement supérieur à celui des jardiniers.

Les journaliers constituent un troisième ensemble. Il s’agit de salariés agricoles sans précision de rôle. En 1856, le salaire journalier d’un ouvrier agricole se monte à 1.50 F alors qu’un kilo de pain coûte 0.26 F. Les domestiques de ferme complètent la liste tandis que les propriétaires et rentiers ne représentent qu’une infime partie des gens vivant de la terre.

Les agriculteurs cultivent : froment, méteil (mélange du seigle et du froment), seigle, avoine, pommes de terre, légumes secs, betteraves, colza, orge et cultures de jardin (carottes, poireaux...). C’est l’orge qui paraît être la céréale la plus répandue à l’époque.

Les jardins, en bordure du Crinchon, représentent un petit tiers du terroir. La culture abondante de la carotte est notamment produite pour la consommation arrageoise. Cette activité nécessite une main-d’œuvre nombreuse et minutieuse.

Concernant l’outillage agricole, en 1882, on compte 80 charrues simples, 40 houes à cheval, 9 machines à battre.

La presque totalité du reste des habitants exerce un métier artisanal en étroite relation avec les travaux des champs.

En 1820, on dénombre 40 artisans (19 hommes et 21 femmes) dont 2 maréchaux-ferrants, 5 meuniers, 2 tonneliers, 2 charrons et 3 ollieux. Les ollieux travaillent à la fabrication de l’huile à partir du colza et de l’oeillette. En 1851, on recense également 1 tueur de…porcs et en 1872 : 2 bourreliers et 1 faiseur de cercles. En 1820, les cordonniers sont au nombre de 3. Ils sont 7 en 1851 et 9 en 1872. On trouve également des horlogers, des barbiers, des vanniers, des chiffonniers et des serruriers.

La deuxième partie du siècle entraîne l’apparition de nouvelles catégories professionnelles se rattachant à l’industrie et aux transports (chemin de fer).