12
LEÇON DE GRAMMAIRE
SIMPLE COMME BONJOUR
Ce jour-là, la leçon de grammaire traitait des locutions comparatives.
C’est fou comme le français regorge d’expressions puisant leur origine dans le
bon sens populaire. Les animaux y tiennent une place de choix. Monsieur
illustra ces propos par deux exemples : « gai comme un pinson » et « heureux comme un
poisson dans l’eau ». Moi
je veux bien que les pinsons soient gais mais je doute fort que celui qui se balance
comme un psychotique dans la cage de chez mémé du Moulin le soit réellement. Rempli
de tocs et de tics, il multiplie les va-et-vient systématiques de son perchoir aux
barreaux. Quoi, Cucu ! tu me dis
que l’oiseau prisonnier dans la cage à mémé, c’est pas un pinson mais un
canari. M’en fiche, ce serin me serine et il n’est pas heureux quand même. Je
doute également que le petit poisson rouge qui tourne en rond sans raison dans
son bocal le soit aussi (même si je reconnais qu’il est difficile de se mettre dans la peau d’un
poisson !). Enfin, passons.
Monsieur questionna la classe :
- On dit : « muet comme… ?
- Un lézard ! s’exclama Dudu.
Décontenancé par sa réplique, Monsieur marqua
un temps d’arrêt avant de moduler.
- Si tu dis : « muer comme un lézard », c’est que tu
fais allusion au verbe « muer ».
Je mue, tu mues, il mue, nous muons, vous muez, ils muent (au passage, on se
prenait le présent de l’indicatif du verbe muer dans les dents). Non, on dit :
« muet comme une carpe ».
Peut-être mais n’empêche que Dudu n’avait pas tout à
fait tort sur ce coup-là.
Monsieur nous dressa ensuite une liste de cinq adjectifs : « gras,
myope, bête, doux et bavard », suivis de la conjonction « comme » qu’il fallut associer aux animaux :
« taupe, oie, agneau, caille et pie ». Puis il nous invita à rechercher
d’autres exemples pour le lendemain. Ça tomba comme à Gravelotte : « gros comme un cochon, vif comme un
écureuil, frais comme un gardon, sale comme un pou et rouge comme un coq ». Sans
transition, Monsieur passa du coq à l’âne pour illustrer la seconde partie de sa
leçon.
- Prenez le mot « âne », on peut le retrouver dans
trois sortes de locutions. La locution nominale : « un dos d’âne », la locution adjective : « têtu
comme un âne » et enfin, la
locution verbale : « faire l’âne pour avoir du son ».
Pas très inspiré ce jour-là, Monsieur proposa de
prolonger la leçon avec « bonnet ». Lulu dressa l’oreille et dans
un éclair de génie lança : « Bonnet d’âne » Monsieur reçut sa réponse
un bout de sourire au coin des lèvres. C’était sa façon d’afficher sa
satisfaction.
- Très bien Lucien, ça mérite un bon point.
Fier comme Artaban, Lulu ne bouda pas son
plaisir. C’était bien la première fois que le bonnet d’âne (auquel il était
abonné) lui rapportait un bon point. Monsieur en profita pour nous préciser que
l’origine de ce légendaire bonnet d’âne remontait à
Monsieur spécifia qu’au Moyen Age, les officiants
de la messe de l’âne portaient aussi ce bonnet lors de la fête des fous. Evolution
du temps parce qu’à l’époque où le savoir se transmettait oralement, les
grandes oreilles symbolisaient plutôt l’attention et la sagesse. Monsieur
retint ensuite l’exemple de « gros bonnet » pour illustrer la locution adjective.
Puis Lulu connut son heure de gloire quand Monsieur l’invita à laver le
tableau. Flatté, il ne se fit pas prier deux fois et bondit de sa chaise comme
un cabri. Faut dire que plonger l’éponge dans le seau rempli d’eau claire et froide
et nettoyer le tableau était une faveur qui récompensait les élèves les plus méritants.
Epreuve pourtant délicate parce qu’il fallait arpenter l’estrade de gauche à
droite, appuyer sur l’éponge sans discontinuer pour ne laisser aucune trace apparente.
Le plus compliqué était d’éponger jusque dans les coins et d’atteindre le haut
du tableau. Les plus petits d’entre nous se hissaient sur la pointe des pieds en
sautillant et accomplissaient des cercles disgracieux. Un peu pataud et peu
expérimenté, Lulu, en plein exercice, expédia l’éponge sur le crâne de Monsieur.
Vous auriez vu les yeux ahuris de Monsieur à la réception du projectile. Il passa cependant l’éponge et Lulu acheva son travail
sans aucun autre avatar.
Remplir d’encre violette, les
encriers nacrés blanc était aussi une récompense très prisée même si l’exercice
nécessitait qu’on ne répandît point le liquide violet à côté. La bouteille
disposait d’un bouchon-verseur doré qui ouvrait une espèce de bec dès qu’on inclinait
la bouteille vers l’encrier. Je me souviens encore de l’odeur particulière de l’encre
préparée par Monsieur. Ni trop claire. Ni trop foncée.
Ramasser les cahiers était aussi une mission
qui n’était pas confiée au premier manchot (ni cul-de-jatte) venu. C’était pour
les heureux élus, la possibilité de se dégourdir les jambes. A moitié dans la
lune, il m’arrivait de sursauter parfois lorsque Monsieur ordonnait à l’un
d’entre nous de : « ramassez les cahiers ». Je pensais que cette
injonction m’était directement destinée. Faut dire que j’avais tellement
l’habitude de tomber dans les pommes que lorsqu’il fallait « ramasser les
cahiers », bibi se croyait forcément
concerné.