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LEÇON DE GRAMMAIRE

 

SIMPLE COMME BONJOUR

 

 

Ce jour-là, la leçon de grammaire traitait des locutions comparatives. C’est fou comme le français regorge d’expressions puisant leur origine dans le bon sens populaire. Les animaux y tiennent une place de choix. Monsieur illustra ces propos par deux exemples : « gai comme un pinson » et « heureux comme un poisson dans l’eau ».  Moi je veux bien que les pinsons soient gais mais je doute fort que celui qui se balance comme un psychotique dans la cage de chez mémé du Moulin le soit réellement. Rempli de tocs et de tics, il multiplie les va-et-vient systématiques de son perchoir aux barreaux.  Quoi, Cucu ! tu me dis que l’oiseau prisonnier dans la cage à mémé, c’est pas un pinson  mais un canari. M’en fiche, ce serin me serine et il n’est pas heureux quand même. Je doute également que le petit poisson rouge qui tourne en rond sans raison dans son bocal le soit aussi (même si je reconnais qu’il est  difficile de se mettre dans la peau d’un poisson !). Enfin, passons.

Monsieur questionna la classe :

- On dit : « muet comme… ? 

- Un lézard ! s’exclama  Dudu.

Décontenancé par sa réplique, Monsieur marqua un temps d’arrêt avant de moduler.

- Si tu dis : « muer comme un lézard », c’est que tu fais allusion au verbe  « muer ». Je mue, tu mues, il mue, nous muons, vous muez, ils muent (au passage, on se prenait le présent de l’indicatif du verbe muer dans les dents). Non, on dit : « muet comme une carpe ».  

Peut-être mais n’empêche que Dudu n’avait pas tout à fait tort sur ce coup-là.

 

Monsieur nous dressa ensuite une liste de cinq adjectifs : « gras, myope, bête, doux et bavard », suivis de la conjonction « comme » qu’il fallut associer aux animaux : « taupe, oie, agneau, caille et pie ». Puis il nous invita à rechercher d’autres exemples pour le lendemain. Ça tomba comme à Gravelotte :  « gros comme un cochon, vif comme un écureuil, frais comme un gardon, sale comme un pou et rouge comme un coq ». Sans transition, Monsieur passa du coq à l’âne pour illustrer la seconde partie de sa leçon.

- Prenez le mot « âne », on peut le retrouver dans trois sortes de locutions. La locution nominale : « un dos d’âne », la locution adjective : « têtu comme un âne » et enfin, la locution verbale : « faire l’âne pour avoir du son ». 

Pas très  inspiré ce jour-là, Monsieur proposa de prolonger la leçon avec « bonnet ». Lulu dressa l’oreille et dans un éclair de génie lança : « Bonnet d’âne » Monsieur reçut sa réponse un bout de sourire au coin des lèvres. C’était sa façon d’afficher sa satisfaction.

- Très bien Lucien, ça mérite un bon point.

Fier comme Artaban, Lulu ne bouda pas son plaisir. C’était bien la première fois que le bonnet d’âne (auquel il était abonné) lui rapportait un bon point. Monsieur en profita pour nous préciser que l’origine de ce légendaire bonnet d’âne remontait à la Grèce antique. Je vous raconte vite fait comme ça vous ne mourrez pas idiot(e). La légende rapporte que le dieu Apollon qui organisait un concert de lyre dans le temple de Delphes coiffa d’une paire d’oreilles démesurées le roi Midas parce qu’il avait osé préférer la flûte du dieu Pan à la lyre divine.

Monsieur spécifia qu’au Moyen Age, les officiants de la messe de l’âne portaient aussi ce bonnet lors de la fête des fous. Evolution du temps parce qu’à l’époque où le savoir se transmettait oralement, les grandes oreilles symbolisaient plutôt l’attention et la sagesse. Monsieur retint ensuite l’exemple de « gros bonnet » pour illustrer la locution adjective.

 

Puis Lulu connut son heure de gloire quand Monsieur l’invita à laver le tableau. Flatté, il ne se fit pas prier deux fois et bondit de sa chaise comme un cabri. Faut dire que plonger l’éponge dans le seau rempli d’eau claire et froide et nettoyer le tableau était une faveur qui récompensait les élèves les plus méritants. Epreuve pourtant délicate parce qu’il fallait arpenter l’estrade de gauche à droite, appuyer sur l’éponge sans discontinuer pour ne laisser aucune trace apparente. Le plus compliqué était d’éponger jusque dans les coins et d’atteindre le haut du tableau. Les plus petits d’entre nous se hissaient sur la pointe des pieds en sautillant et accomplissaient des cercles disgracieux. Un peu pataud et peu expérimenté, Lulu, en plein exercice, expédia l’éponge sur le crâne de Monsieur. Vous auriez vu les yeux ahuris de Monsieur à la réception du projectile. Il  passa cependant l’éponge et Lulu acheva son travail sans aucun autre avatar.

 

 Remplir d’encre violette, les encriers nacrés blanc était aussi une récompense très prisée même si l’exercice nécessitait qu’on ne répandît point le liquide violet à côté. La bouteille disposait d’un bouchon-verseur doré qui ouvrait une espèce de bec dès qu’on inclinait la bouteille vers l’encrier. Je me souviens encore de l’odeur particulière de l’encre préparée par Monsieur. Ni trop claire. Ni trop foncée.

Ramasser les cahiers était aussi une mission qui n’était pas confiée au premier manchot (ni cul-de-jatte) venu. C’était pour les heureux élus, la possibilité de se dégourdir les jambes. A moitié dans la lune, il m’arrivait de sursauter parfois lorsque Monsieur ordonnait à l’un d’entre nous de : « ramassez les cahiers ». Je pensais que cette injonction m’était directement destinée. Faut dire que j’avais tellement l’habitude de tomber dans les pommes que lorsqu’il fallait « ramasser les cahiers »,  bibi se croyait forcément concerné.