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DICTÉE
« Prenez votre cahier du jour et écrivez : Dictée ! »
Ca y est, le mot tant redouté est lâché : Dictée (je vois bien que
vous blêmissez encore aujourd’hui, rien qu’à entendre le mot).
Silence de mort. Chacun est dans ses starting-blocks, concentré et un
peu fébrile, prêt à bondir. En guise d’échauffement, Monsieur nous lit
intégralement le texte, à haute voix, en prenant soin d’accentuer les consonnes
qui doublent, histoire de nous faciliter la tâche.
Il appuie sur les deux « p » d’« apparaître » pour les différencier du « p » d’« apercevoir »
et prononce également de façon très fermée, les syllabes en « é » pour les distinguer
de celles en « è »
ou « ai », beaucoup
plus ouvertes (lait demi-écrémé et crème légère).
Aujourd’hui, c’est un texte de Victor Hugo (tiré des Misérables) qui sert de dictée.
Pour déjouer les pièges dissimulés sournoisement tout au long du texte,
on récite dans nos têtes les règles d’orthographe élémentaires dont Monsieur
nous rebat les oreilles :
« Le chapeau de la cime est
tombé dans l’abîme »,
« Les noms féminins terminés
par -té s’écrivent -té : t-é, exceptés les noms exprimant le contenu
d’une chose comme une pelletée, une platée, une assiettée, une brouettée,
une hottée qui prennent un e terminal ».
A noter que « la potée » prend aussi un « e » ! Passe encore pour ce
plat dont on peut considérer que c’est le contenu d’un pot. Mais « la
tripotée », c’est quand même pas trois potées et le mot finit tout de même
par « e ». Comprenne
qui pourra ! A cette liste, il faut ajouter la jetée, la (re)montée, la
portée, la butée, la pâtée et la … dictée.
Tiens ! Tiens ! Voilà que le mot « dictée » se
distingue déjà par son orthographe. Ça commence bien ! La dictée se
singularise aussi par sa façon d’être notée. En effet, la dictée est la seule
discipline où chacun part de 10 pour descendre vers 0. C’est vrai, tout le
monde a 10 avant de commencer et puis, au fil des difficultés rencontrées, le
10 se réduit, s’amenuise, s’étiole, s’atrophie, se liquéfie (la première phrase
suffisait souvent à Lulu pour dilapider son capital points, même que si
Monsieur avait dû noter en dessous de zéro, le Lulu aurait payé à coup sûr des
agios jusqu’à la fin de sa vie).
Je ne sais pas où ce Lulu avait la tête ce jour-là mais figurez-vous qu’un
jour où il était question de « bonnet d’âne », il écrivit « beau
nez d’Anne ». Amoureux qu’il devait être. En effet, quand Monsieur enchaîna
et parla d’âne botté, l’incorrigible amoureux pensa à la « beauté d’Anne » !
Ce Lulu était vraiment poète à ses heures ! Je me souviens qu’un
jour, il s’était exclamé en voyant un cygne blanc glisser sur le plan d’eau du
Jardin Minelle : « On dirait un canard habillé en mariée !» Un autre
jour que Monsieur évoquait les cris d’animaux, il avait lancé : « la pie
pipelette. » Même si c’était faux, c’était joliment dit, aussi joli que d’affirmer
que la belette belotte, la hulotte
hulule, l’alouette grisolle, la mésange zinzinule, le chien aboie et…la
caravane passe.
La dictée, comme la vie, ressemble à une course de sauts d’obstacles. A
intervalles réguliers, tout au long du parcours, les difficultés se profilent,
insurmontables pour Lulu.
« A vos marques !
Trois, deux, un, partez ! » Ca y est, c’est parti. On démarre, on
suit, on piétine, on se heurte, on trébuche là même où on ne s’y attend pas et on
saute, sans encombre, la haie de la rivière en laissant traîner,
malencontreusement, un pied dans l’eau : le « ô » de « hôpital », une faute bénigne
mais qui coûte un quart de point selon le barème en vigueur.
Pourtant, lors d’une leçon de grammaire, Monsieur nous avait joliment précisé
que l’accent circonflexe est souvent le témoin d’une lettre disparue :
le « s » avec moult exemples à l’appui : bête-bestial, fête-festival,
forêt-forestier… Il avait même ajouté que « maraîcher » tirait
son origine de « marais » (maresc) et s’écrivait « mareschier »,
il y a très longtemps.
Passe encore pour ces accents circonflexes qui se sont substitués au « s » quand le « s » n’a pas résisté au temps
mais avouez que celui qui trône sur le « dû » de devoir au masculin et qui disparaît au féminin est
plutôt incongru, saugrenu, farfelu et mal venu. Assidûment, Dudu ne l’oubliait jamais,
pas plus qu’il n’oubliait l’accent circonflexe qui pointe indûment sur le « u » de « mû » ou celui qui chapeaute le « u » de « crû » du verbe croître (pour le
différencier du verbe croire). Par contre, il en accordait parfois gracieusement
à certains mots. Faut dire qu’on se demande bien pourquoi certains accents
fantomatiques apparaissent et disparaissent de façon drolatique sur des mots de
même origine comme « infâme » et « infamie » par
exemple.
Allez savoir pourquoi aussi des mots de même famille doublent ou non
leur consonne : ainsi la charrue de l’oncle René prend deux « r » alors
que le Chariot de la pétulante Petula
n’en prend qu’un. Faut quand même pas charrier ! Je crois franchement
que c’est pour nous compliquer l’existence. Je ne vois pas d’autres raisons (et
là, on ne peut pas dire que Dieu y soit vraiment pour quelque chose). Heureusement,
lorsque la difficulté est insurmontable, Monsieur, grand seigneur, écrit le mot au tableau. Je me souviens du mot « cahute » que j’aurais bien orthographié comme « hutte »,
avec deux « t ». Pas vous ? (aujourd’hui, on tolère les deux
orthographes. C’était bien la peine).
Je le répète, la dictée ressemble à la vie, c’est un périple à
obstacles multiples. Il faut éviter les chausse-trapes, les trappes et
attrape-nigauds auxquels on se heurte régulièrement. Il faut aussi se
confronter aux pluriels singuliers. Parlons-en des pluriels. La première fois
que Monsieur nous en a parlé, la règle était élémentaire, mon cher Watson. Il
suffisait d’ajouter un « s »
à la fin de chaque mot. On délivrait des « s » à tout va. Comme le bon Dieu, on multipliait les miracles
et d’un pain béni, on faisait des pains bénis. Et puis, le diable s’en est
mêlé. Une semaine plus tard, Monsieur nous révéla qu’il y avait des exceptions.
L’enfer, quoi. Voilà que les mots en « al » et « ail »
se terminaient par « aux ».
Il précisa même que le mot « ail »
(exception parmi les exceptions) possédait deux pluriels : « aulx » (qui garde l’orthographe
du XVIème siècle) et « ails ». Aïe ! Aïe ! Aïe !
Ouille !
Que dire aussi du pluriel des noms com-po-sés. Un véritable casse-tête
chinois ! Pas toujours facile d’éviter
les guet-apens et de déceler sur-le-champ les mots composés réels des
trouble-fête du genre : portemanteau ou millefeuille…. Sitôt le mot repéré,
il fallait réfléchir à son pluriel en retenant l’exemple des :
portes-fenêtres, des porte-plume et des porte-parapluies.
Il fallait aussi affronter certains mots au genre douteux : « ivoire » et « enclume »
par exemple. Je pense aussi à : « argile, épître et orge »
qui sont tous du sexe…féminin. Pas toujours facile de s’y retrouver. D’ailleurs,
pourriez-vous me préciser le genre de ces cinq mots relatifs à la
maladie ? : « urticaire,
aphte, escarre, dartre, acné[1] ».
Et le genre de ces cinq
fleurs ? : « colchique,
iris, narcisse, azalée, ellébore[2] »
(alors là, on fait moins les malins).
Pour embrouiller le tout, il y avait les mots androgynes : ceux
qui changent de genre selon qu’ils sont au singulier ou au pluriel. Comme l’amour.
L’amour est masculin au singulier et féminin au pluriel. Moi je dis que l’amour
n’est ni masculin ni féminin. Il est. Il est ou il n’est pas. Il est
particulier, unique et rebelle. Il est le plus beau des plus…belles !!! (Ah
non, dans ce cas-là, on dit : le plus beau des plus beaux, c’est un des
délices de la langue française. Attention « délice » est un mot
androgyne également tout comme : orgue !).
A propos de genre, Lulu prétendit
au cours d’une leçon que le corbeau
avait pour femelle la corbeille (peut-être pensait-il à la
corneille). Remarquez, moi j’ai longtemps cru que Madame chouette était la
femme de Monsieur hibou et le crapaud, le mari de la grenouille. En tout cas, la
réponse de Lulu avait bien fait rire toute la classe. Quand il fallut accoupler
des noms d’animaux mâles à des noms d’animaux femelles, on rigola beaucoup moins.
Selon Monsieur, trois cas de figure possibles.
Premier cas : le mâle et la femelle portent le même nom. Pour les
distinguer, il faut alors préciser : la femelle du rossignol ou encore la
girafe mâle. Facile. Très facile.
Deuxième cas : On ajoute un « e » au nom du mâle. Exemple :
un lapin, une lapine. Un éléphant, une éléphante. Encore facile. « Quand
le nom masculin se termine par une consonne, la consonne peut doubler. »
Exemple : Un chien : une chienne. Un chat : une chatte. Un lion :
une lionne (Cucu, il a une blague, il dit que le lion et la lionne sont félins
pour l’autre !). Autres variantes : un âne : une ânesse. Un
tigre : une tigresse.
Dernier cas : certains noms de femelle n’ont strictement rien à
voir avec le nom du mâle. Exemple : un coq : une poule. Un cheval :
une jument. Alors là, ça se complique sérieusement.
Quand Monsieur nous demanda d’identifier la femelle du : bouc (la
chèvre), du pigeon (la colombe), du jars (l’oie), du sanglier (la laie) et du
lièvre (la hase), on appliqua la politique de l’autruche. La tête dans le sac.
Je ne sais pas pourquoi mais j’ai retenu facilement que la femelle du
lièvre s’appelait la hase (et
non la levrette qui est la femelle du lévrier, gros obsédé !) Du
coup, j’essayais de fourguer le mot dans toutes mes compositions françaises,
nonobstant les remontrances de Monsieur.
Le Lulu, quant à lui, militait pour le brassage des races et le
croisement des espèces. Un peu loufoque, il mélangeait tout et aurait bien
accouplé un bélier avec une laie. Je ne vous raconte pas la tête du petit
hybride ! Encore que je me demande bien si l’ornithorynque n’est pas le
croisement entre un canard (vu son bec) et un castor (vu sa queue) et
l’hippocampe, entre un cheval (vu sa tête) et un poisson (vu son corps).
Dans le fief d’Achicourt où les baudets sont rois, Monsieur nous précisa
que la mule et le mulet étaient issus du croisement d’un âne et d’une jument, le
baudet : d’un âne et d’une ânesse et le bardot : d’un étalon et d’une
ânesse. Nous, on connaissait bien la Brigitte (ingénue et impudique) et on imaginait
mal qu’elle puisse descendre d’un pur-sang et d’une ânesse, aussi mal qu’une
montagne puisse accoucher d’une souris comme Monsieur se plaisait à nous le répéter
parfois !
Pour la petite histoire, Monsieur nous confia que lorsqu’elle
s’accouple, on dit que l’ânesse baudouine, la brebis béline, la chienne jumelle
et l’oiseau côche. Quant aux lapins, ils bouquinent. Eh oui, bouquiner qui signifiait
à l’origine : avoir des mœurs de bouc, est utilisé désormais pour
désigner l’accouplement chez les lapins (moi, j’aime bien bouquiner aussi !
Pas vous ?).
Un jour que Monsieur venait de nous indiquer que la plupart des noms de
petits d’animaux se terminaient par « eau », avec une ribambelle d’exemples
à l’appui : lionceau, renardeau, pigeonneau, dindonneau, héronneau, cigogneau…,
notre petit étourneau de Lulu tomba dans le paonneau (!) de la facilité en ajoutant,
illico presto, des « eau » à tous
les animaux figurant sur la liste. Je ne vous dis pas le dégât des « eau » !
L’âne donna naissance à un… « âneau »,
le rat à un… « rateau » et le chat à un… »chateau ». Encore
heureux que la liste ne comprenait pas de
thon et de cane. Poussé dans ses derniers retranchements, Lulu aurait même été
capable de vous affirmer que le mulot était le petit de la mule. A la lecture de
son cahier, Monsieur (qui n’était pourtant pas un perdreau de l’année) tomba de…
haut. A la récré, le petit sot de Cucu en rajouta une louche en se targuant de connaître
le nom du petit de la puce !
Pour assurer la transition entre les noms de petits d’animaux se terminant
par « eau » et ceux finissant par « on », Monsieur retint l’exemple de la girafe qui donne
naissance invariablement à un girafeau ou à un…girafon. Les deux noms sont
corrects. Puis, il cita direct quelques exemples : un chaton, un ourson, un
aiglon…
Enfin, il associa la cane au caneton et pour s’assurer que Lulu avait bien
suivi la leçon, lui demanda de repréciser le nom du petit âne.
- Un « âneton »,
ânonna Lulu. Sa réponse désespéra Monsieur qui exprima un étonnement navré en
faisant un signe négatif de la tête.
- Non ! le nom est déjà pris par une
petite bestiole inoffensive, soupira-t-il. Et de citer un proverbe de chez nous
: année de hannetons, année de grenaisons.
Désolé Monsieur, le mot « hanneton » était peut-être déjà utilisé
mais la proposition de Lulu n’était pas si sotte que ça : cane- caneton donnait dans
son esprit : âne- âneton.
Si Lulu ne brillait pas dans le jeu des sept familles, la dictée
n’était pas non plus sa tasse de thé, je vous l’ai déjà dit. Entre les pluriels
singuliers, les genres douteux, les exceptions qui confirment la règle, les
homonymes pervers, les épithètes mal repérés, le petit souriceau tombait à
chaque fois dans la souricière. Buté comme un âne, il collectionnait les fautes
stupides et récoltait, à chaque fois, sa pâtée, sa déculottée et son zéro
pointé.
Alors, le vendredi matin, à
l’heure de la correction, on craignait pour ses fesses (et pour les nôtres
aussi, je le confesse).