50
CORRESPONDANCE
Nichée au fond d’une vieille armoire,
une boîte en fer orangée. A l’intérieur, délicatement rangées, tel un joyau
posé dans un écrin, trois lettres écrites de ta main qui me sont destinées et
qui sont datées de juillet et août 1974.
Je les reçois dans ce petit
village corse de Canari où, durant deux mois, je suis mono dans une colo pour ados en difficultés (quelques jours après avoir obtenu le Bac B). Cet
éloignement me vaut cette précieuse correspondance.
Ta première lettre date du 26
juillet 1974.
Achicourt, Le 26 juillet 1974
Mon
grand garçon,
Aujourd’hui c’est maman qui prend la plume pour te féliciter de tes
merveilleux résultats. C’est quelque chose de formidable et tu ne peux pas
savoir la joie que je ressens encore au fond de mon cœur, d’ailleurs toute la
maisonnée est folle de joie et mamie aussi (ainsi que tes grands frères et
sœurs).
J’espère que tu profites pleinement de tes vacances et de ton repos bien
mérité… Toute la famille a eu la joie de lire tes lettres assez longues à
déchiffrer. .. Profite-z-en ! Tu en avais tellement besoin après les
révisions que tu avais faites.
De
gros baisers de ta maman qui pense souvent à son grand garçon chéri et qui est
très heureuse des vacances que tu mérites.
La deuxième est datée du 7
août :
Achicourt,
le 7 août 1974
Mon grand garçon,
Ce matin, j’ai reçu des nouvelles de vous tous. J’avais de quoi
lire (ta longue lettre assez difficile à déchiffrer, une de Christine et
Patricia me faisant part de leur voyage, leur arrivée et leurs premières
impressions et une de Philippe, il est parti pour une quinzaine de jours à la
mer)…
Que la maison est vide mais comme je trouve toujours à m’occuper, les
journées passent vite malgré tout…
D’ailleurs, j’ai la visite des grands et des petits.
Dimanche, nous allons dîner chez Jeannine et le 15 août chez Régine.
Dimanche dernier, nous sommes allés à la pêche avec notre nouvelle voiture.
Quelle surprise ! Papa l’avait achetée et ne me l’a dit seulement que
lorsqu’il l’a récupérée. Le cadeau est vraiment superbe car je ne m’y attendais
pas.
Et maintenant, je vais te parler de notre Vicking. En effet, il est parti
mais l’officier qui est venu le chercher nous a dit qu’il serait très heureux
là où il irait (5 heures de promenade par jour, il va aller au dressage et
appartiendra à un seul maître). Il m’a promis de me donner de ses nouvelles à
la fin du mois, le temps qu’il s’adapte à sa nouvelle vie. Il m’a fait
remarquer qu’il serait beaucoup plus heureux à l’armée, qu’il aurait au moins une vraie vie de chien, que la façon
dont il vivait chez nous n’était pas faite pour un chien de son espèce. Ce qui
m’a touché, c’était la gentillesse de cet officier et pour moi-même que de
travail en moins, surtout que nous allons partir sitôt que papa en aura terminé
avec sa tapisserie.
Je vois que ton travail n’est pas de tout repos mais avec ton bon sens et
ta psychologie, tout doit s’arranger.
Je pensais que ton voyage à Gérardmer te ferait plaisir mais je
m’aperçois que non, il est vrai que tu ne pourras peut-être pas faire les
vendanges avec Christine et Philippe.
Mamie est là, comme tous les mercredis. Elle était contente de lire ta
lettre, elle t’envoie des nouvelles de Poulidor et te remercie de ton petit
mot.
Au fait ! si tu n’as pas été remboursé, peut-être faut-il t’envoyer
un mandat en express, réponds-moi à ce sujet.
Pour les cheveux, Jean et Joël se demandent si c’est une vraie coupe que
tu as faite ou seulement un rafraîchissement ? Gare à la mise en boîte
lors de ton retour. J’arrête mon bavardage car le facteur va passer.
De gros baisers de papa et maman qui pensent bien à toi et sont fiers de
leur garçon.
Le même jour, une lettre de toi, papa.
Cher
Jean-Luc
Nous avons reçu ta lettre et sommes très heureux de te savoir en
parfaite santé et très content de ton séjour si agréable comme tu dis.
Je suis en congé samedi pour quinze jours et j’en profiterai pour
tapisser le couloir et finir mes peintures, puis nous prendrons à deux maman
quelques jours de repos, soit à la pêche dans
Nous sommes tous les deux en parfaite santé, mais tu sais depuis que les deux
filles et Philippe sont partis, quel vide et surtout le soir un peu le cafard.
Maman t’écrit ce jour, je t’embrasse bien fort.
Ton papa qui t’aime de tout cœur.
La troisième est écrite le jour
de l’anniversaire de Nanot :
Achicourt,
le 14 août 1974
Mon grand garçon chéri,
Nous sommes vraiment toujours très heureux de te lire, ton papa et
moi-même ainsi que le reste de la famille qui, sitôt arrivé à la maison,
demande si l’un de vous quatre a donné de ses nouvelles d’autant plus que tu
n’es vraiment pas avare d’écrire, ce qui nous réjouit tous.
Je vois quand même que ce n’est pas de tout repos mais l’essentiel, c’est
de s’en tirer à son avantage. Le temps s’est remis au beau fixe, il fait un
soleil merveilleux, pourvu que cela dure.
Hier, nous sommes allés passer notre journée chez Joël et Jean, Janine et
les enfants sont venus nous rejoindre l’après-midi. Tous ont fait une bonne
partie de cartes regrettant quand même que vous ne soyez pas là.
Je te joins la carte de Philippe qui a égaré ton adresse. Les filles ne
doivent pas s’ennuyer. Nous n’avons eu qu’une carte d’elles depuis leur départ.
Enfin, je les espère très heureuses de leur séjour.
La maison se rénove mais papa trouve que la salle paraît sale alors, il a
décidé de la tapisser aussi.
De gros baisers affectueux de papa qui est en train d’écouter Jean Ferrat
et les marches militaires tout en peignant.
Jean est venu l’aider, ce qui l’a beaucoup avancé dans son travail et
l’incite à faire une autre pièce.
Gros baisers de nous tous et de mamie.
Maman qui pense souvent à toi.
Dans la bibliothèque, une
bouteille de liqueur avec à l’intérieur (dans sa bulle de verre), une danseuse
en robe rouge. Quand nous avions douze ou treize ans, tu nous disais : « On
l’ouvrira le jour où la petite dernière se mariera. » Jamais ouverte. Non
pas que la petite dernière ne se soit pas mariée mais tu n’étais pas là pour la
fêter. Je remonte ce soir la mécanique sous la bouteille comme j’ai remonté le
temps jusqu’à vous. Ecoutez-là cette musique et voyez la danseuse comme elle
danse.
Vous y dansiez petite fille, y danserez-vous mère-grand...
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CORRESPONDANCE
Nichée au fond d’une vieille armoire,
une boîte en fer orangée. A l’intérieur, délicatement rangées, tel un joyau
posé dans un écrin, trois lettres écrites de ta main qui me sont destinées et
qui sont datées de juillet et août 1974.
Je les reçois dans ce petit
village corse de Canari où, durant deux mois, je suis mono dans une colo pour ados en difficultés (quelques jours après avoir obtenu le Bac B). Cet
éloignement me vaut cette précieuse correspondance.
Ta première lettre date du 26
juillet 1974.
Achicourt, Le 26 juillet 1974
Mon
grand garçon,
Aujourd’hui c’est maman qui prend la plume pour te féliciter de tes
merveilleux résultats. C’est quelque chose de formidable et tu ne peux pas
savoir la joie que je ressens encore au fond de mon cœur, d’ailleurs toute la
maisonnée est folle de joie et mamie aussi (ainsi que tes grands frères et
sœurs).
J’espère que tu profites pleinement de tes vacances et de ton repos bien
mérité… Toute la famille a eu la joie de lire tes lettres assez longues à
déchiffrer. .. Profite-z-en ! Tu en avais tellement besoin après les
révisions que tu avais faites.
De
gros baisers de ta maman qui pense souvent à son grand garçon chéri et qui est
très heureuse des vacances que tu mérites.
La deuxième est datée du 7
août :
Achicourt,
le 7 août 1974
Mon grand garçon,
Ce matin, j’ai reçu des nouvelles de vous tous. J’avais de quoi
lire (ta longue lettre assez difficile à déchiffrer, une de Christine et
Patricia me faisant part de leur voyage, leur arrivée et leurs premières
impressions et une de Philippe, il est parti pour une quinzaine de jours à la
mer)…
Que la maison est vide mais comme je trouve toujours à m’occuper, les
journées passent vite malgré tout…
D’ailleurs, j’ai la visite des grands et des petits.
Dimanche, nous allons dîner chez Jeannine et le 15 août chez Régine.
Dimanche dernier, nous sommes allés à la pêche avec notre nouvelle voiture.
Quelle surprise ! Papa l’avait achetée et ne me l’a dit seulement que
lorsqu’il l’a récupérée. Le cadeau est vraiment superbe car je ne m’y attendais
pas.
Et maintenant, je vais te parler de notre Vicking. En effet, il est parti
mais l’officier qui est venu le chercher nous a dit qu’il serait très heureux
là où il irait (5 heures de promenade par jour, il va aller au dressage et
appartiendra à un seul maître). Il m’a promis de me donner de ses nouvelles à
la fin du mois, le temps qu’il s’adapte à sa nouvelle vie. Il m’a fait
remarquer qu’il serait beaucoup plus heureux à l’armée, qu’il aurait au moins une vraie vie de chien, que la façon
dont il vivait chez nous n’était pas faite pour un chien de son espèce. Ce qui
m’a touché, c’était la gentillesse de cet officier et pour moi-même que de
travail en moins, surtout que nous allons partir sitôt que papa en aura terminé
avec sa tapisserie.
Je vois que ton travail n’est pas de tout repos mais avec ton bon sens et
ta psychologie, tout doit s’arranger.
Je pensais que ton voyage à Gérardmer te ferait plaisir mais je
m’aperçois que non, il est vrai que tu ne pourras peut-être pas faire les
vendanges avec Christine et Philippe.
Mamie est là, comme tous les mercredis. Elle était contente de lire ta
lettre, elle t’envoie des nouvelles de Poulidor et te remercie de ton petit
mot.
Au fait ! si tu n’as pas été remboursé, peut-être faut-il t’envoyer
un mandat en express, réponds-moi à ce sujet.
Pour les cheveux, Jean et Joël se demandent si c’est une vraie coupe que
tu as faite ou seulement un rafraîchissement ? Gare à la mise en boîte
lors de ton retour. J’arrête mon bavardage car le facteur va passer.
De gros baisers de papa et maman qui pensent bien à toi et sont fiers de
leur garçon.
Le même jour, une lettre de toi, papa.
Cher
Jean-Luc
Nous avons reçu ta lettre et sommes très heureux de te savoir en
parfaite santé et très content de ton séjour si agréable comme tu dis.
Je suis en congé samedi pour quinze jours et j’en profiterai pour
tapisser le couloir et finir mes peintures, puis nous prendrons à deux maman
quelques jours de repos, soit à la pêche dans
Nous sommes tous les deux en parfaite santé, mais tu sais depuis que les deux
filles et Philippe sont partis, quel vide et surtout le soir un peu le cafard.
Maman t’écrit ce jour, je t’embrasse bien fort.
Ton papa qui t’aime de tout cœur.
La troisième est écrite le jour
de l’anniversaire de Nanot :
Achicourt,
le 14 août 1974
Mon grand garçon chéri,
Nous sommes vraiment toujours très heureux de te lire, ton papa et
moi-même ainsi que le reste de la famille qui, sitôt arrivé à la maison,
demande si l’un de vous quatre a donné de ses nouvelles d’autant plus que tu
n’es vraiment pas avare d’écrire, ce qui nous réjouit tous.
Je vois quand même que ce n’est pas de tout repos mais l’essentiel, c’est
de s’en tirer à son avantage. Le temps s’est remis au beau fixe, il fait un
soleil merveilleux, pourvu que cela dure.
Hier, nous sommes allés passer notre journée chez Joël et Jean, Janine et
les enfants sont venus nous rejoindre l’après-midi. Tous ont fait une bonne
partie de cartes regrettant quand même que vous ne soyez pas là.
Je te joins la carte de Philippe qui a égaré ton adresse. Les filles ne
doivent pas s’ennuyer. Nous n’avons eu qu’une carte d’elles depuis leur départ.
Enfin, je les espère très heureuses de leur séjour.
La maison se rénove mais papa trouve que la salle paraît sale alors, il a
décidé de la tapisser aussi.
De gros baisers affectueux de papa qui est en train d’écouter Jean Ferrat
et les marches militaires tout en peignant.
Jean est venu l’aider, ce qui l’a beaucoup avancé dans son travail et
l’incite à faire une autre pièce.
Gros baisers de nous tous et de mamie.
Maman qui pense souvent à toi.
Dans la bibliothèque, une
bouteille de liqueur avec à l’intérieur (dans sa bulle de verre), une danseuse
en robe rouge. Quand nous avions douze ou treize ans, tu nous disais : « On
l’ouvrira le jour où la petite dernière se mariera. » Jamais ouverte. Non
pas que la petite dernière ne se soit pas mariée mais tu n’étais pas là pour la
fêter. Je remonte ce soir la mécanique sous la bouteille comme j’ai remonté le
temps jusqu’à vous. Ecoutez-là cette musique et voyez la danseuse comme elle
danse.
Vous y dansiez petite fille, y danserez-vous mère-grand...
Un mot encore. Vous vous
souvenez du chiffre astronomique et curieux de Monsieur : 142 857. Dernièrement,
je me suis amusé à calculer son carré : 20 408 122 449. Eh bien, lorsque
vous additionnez ce nombre, formé de 20 408 et 122 449, vous obtenez :
142 857. Le chiffre initial ! Etonnant, non ?