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LES JOURNEES DE
CONVALESCENCE
Les mouches ? Elles ont accompagné mes interminables journées de
convalescence lorsque, cloué au lit par de fortes fièvres, je gardais la
chambre, enseveli sous une montagne de couvertures, histoire de faire tomber la température.
Les mouches, je les vois encore tourbillonner nerveusement au-dessus de
moi. Je les suis du regard. Hésitantes et zigzagantes, elles zézayent et se
collent au plafond puis reprennent leur zizique incessante avant de se poser
sur les murs tapissés de chasseurs et de cerfs. Immobiles comme moi.
Prisonnières de l’ennui. Et noires, aussi noires que mes idées noires.
Je me demande comment elles font pour marcher au plafond, la tête en
bas, sans se casser la figure. Paraît qu’elles possèdent des ventouses sur les
pattes ! Moi, les ventouses, maman me les applique sur le dos quand j’ai une
bonne bronchite. On dirait que je suis couvert de grosses cloques. Elle
complète ce traitement de choc par l’application sur la poitrine, d’un
cataplasme de ouate et de pommade à l’eucalyptus. « Pour aérer les
bronches », assure-t-elle.
C’est surprenant la nature quand même. Dire que les asticots sont les bébés
des mouches et les chenilles : les larves des papillons. Mais pourquoi je
pense à tout ça ? Faut vraiment que je m’ennuie comme un rat mort pour délirer
sur les mouches, les asticots et les larves. Pour tuer le temps, je compte et
recompte les cerfs en promenant inlassablement mes yeux sur la tapisserie (y en
a toujours autant).
Vous ne trouvez pas qu’on
s’ennuie à mort quand on est cloué au lit. On dirait que les journées durent une
éternité. C’est un temps aussi long qu’un jour sans
copain et aussi ennuyeux que Télé Philatélie
de Jacqueline Caura. Bien plus mortel encore que l’émission En Direct de la Bourse de Paris avec la
tête de François Donati, prisonnière de l’écran. C’est bien simple, celui là,
on dirait qu’il s’est évadé de Bukenwald le jour même. Un véritable cadavre
ambulant figé dans une posture de cire. On se demande à chaque fois si on va le
revoir le lendemain. Moi, il me fout le cafard avec ses yeux exorbités,
son crâne rasé et son visage impénétrable.
Des trucs chiants à mourir, on en voit aussi à Télé Dimanche. Par exemple, les
morceaux de piano interminables de Claude Spiers ou la voix insupportable de
Mathé Altéry ! Quand ils passent, ces deux-là, moi, je vais faire pipi (pareil
pour Georges Guétary, Marcel Merkes et Paulette Merval). J’en profite pour
viser un trou de taupe ou pour noyer quelques fourmis en agitant mon serpent
d’un côté d’autre. Ne me dites pas que vous ne l’avez jamais fait, je ne vous
croirais pas (je parle aux garçons). Apparemment, les fourmis qui
progressent en rangs serrés comme des légionnaires en charroyant des résidus de
petits corps décharnés ou des cadavres d’insectes s’en moquent comme de l’an
quarante. Faut dire qu’elles sont sur Terre depuis cent millions d’années (comme
les libellules, elles ont connu les dinosaures). Alors, vous pensez bien que ce
n’est pas mon petit jet d’urine insignifiant qui peut les perturber (c’est curieux,
les fourmis, plus t’en écrases et plus y en a). Parfois, j’arrose un doryphore qui
croise ma route malencontreusement. En le regardant continuer son chemin sans se
soucier de moi, je me dis qu’auprès de nous, c’est fou comme le monde vit sans
nous.
A Télé Dimanche, on doit parfois aussi se farcir Zizi Jeanmaire avec
ses interminables jambes galbées et son truc en plumes, plumes de z’oiseaux - de z’animaux… Mais aussi l’irritante Nicole
Croisilles avec son énervant « dabadabada dabadabada». Moi, je préfère Enrico quand il chante, accompagné
à la guitare : Ah quelles
sont jolies-Les filles de mon pays-Laïe laïe laïe laïe laïe laïe-Laïe laïe laïe
laïe … ou bien Les gens du Nord
qui ont dans le cœur le soleil qu’ils n’ont pas dehors.
A Télé Dimanche, Roger Lanzac
invite aussi Les Compagnons de
Le summum du summum, question
chianterie (pardonnez-moi ce néologisme mais je n’ai pas trouvé mieux), c’est L’Homme du Picardie, un feuilleton qui a
inventé le ralenti avant le ralenti. L’Homme
du Picardie, c’est un mort vivant. Il ne parle pas, ne bouge pas, ne vit pas.
Il étire sa tristesse, d’écluse en écluse, en traînant une espèce de lassitude
tenace mais on le regarde quand même. Je ne sais pas pourquoi. Parce que le
Christian Barbier, il nous barbe vraiment. Tout juste bon pour les Maisons de
retraite avec Chef d’Oeuvre en Péril
(à regarder bien au chaud,
les pieds calfeutrés dans d’épaisses charentaises au tissu molletonné à
carreaux).
Parfois, au cours de la matinée, pour passer le temps, je regarde filer
les nuages et j’invente des scénarios dans
ma tête. Des gouttes de pluie glissent sur le carreau (on dirait des
spermatozoïdes). Tiens, voilà que Fauvette s’aventure sur mon lit, pelotonne de
ses griffes, la laine épaisse des couvertures, s’étale voluptueusement puis
quitte les lieux sans rien demander à personne. Les chats, c’est comme ça, ils
ne vivent pas chez vous, vous vivez chez eux.
Au milieu de la matinée, tu grimpes l’escalier, me rehausses l’édredon et m’offres
un jus d’orange, un vrai jus d’orange avec des oranges sanguines et juteuses. « Repose-toi bien, je reviendrai d’ici
une heure » Tu me remontes le drap jusqu’au cou, me délivres un baiser sur
le front et repars vaquer à tes occupations. Du haut, je t’entends chanter Les Roses Blanches. On dirait que pour
toi, tout est raison d’aimer. Mais d’où te vient cette infinie
douceur et cet amour de nous ? Du plus profond de toi, je crois. Si le premier boulot d’une mère, c’est d’aimer
ses enfants alors toi, t’es archi-championne du monde.
Savoir que je suis cloîtré en quatre murs
alors que tous mes copains sont à l’école, ça me fout des papillons noirs dans
le crâne. Si ça tombe, je ne les reverrai plus. Et y a toujours cette foutue mouche
qui bourdonne autour de moi à me foutre le cafard. Voilà maintenant qu’elle s’agace
et se cogne à la vitre. En été, les mouches m’énervent tellement que je les capte
en plein vol et les balance sur une toile d’araignée. Bien fait pour elles. Bon,
O.K., c’est pas joli-joli parce qu’elles ne demandent rien à personne. Mais tant
pis, je le fais. Je peux pas dire que je ne le fais pas puisque je le fais. Ne
me dites pas que vous ne l’avez jamais fait. Je ne vous croirais pas. Vous le
jurez. Ah bon ! Dont acte. Faut voir comme l’araignée fonce droit sur sa
proie, te la paralyse et te la momifie, vite fait bien fait. Plus bougée la
mouche, ficelée comme un saucisson.
Vous avez peut-être remarqué mais l’araignée est la seule à régner sur
sa toile. Elle ne tolère aucune intrusion. Tenez, faites l’expérience de capturer
une de ses congénères et de la précipiter dans sa toile et vous verrez à quelle
vitesse, elle file droit sur elle, te la neutralise et te l’enrubanne en deux
temps trois mouvements (les vendeuses des supermarchés qui à Noël emballent les
cadeaux, de papier fantaisie, feraient bien de s’en inspirer : elles n’ont
pas toujours la technique). Mais c’est incroyable, dans ce lit trempé de sueur,
quand je ne pense pas aux mouches, je pense aux araignées. Ne prenez pas la
mouche mais je dois avoir une araignée au plafond, c’est pas possible
autrement. En tous cas, un message à toutes les araignées. Si vous continuez à envahir
ma chambre au printemps, je continuerai à vous écraser avec ma pantoufle. Et si
ça ne suffit pas, je m’armerai d’un bazooka. Vous n’avez pas à marcher sur mes
plates-bandes. Je n’ai rien dit quand vous avez conquis le grenier mais vous
n’irez pas plus loin.
En début d’après-midi, le docteur passe. Il suffit qu’il franchisse le seuil de la porte pour que
je guérisse à moitié. En fin d’après-midi, tu prends soin d’éteindre la lumière
en me souhaitant une bonne nuit. Demain sera un autre jour. Si je suis sur pied,
la vie reprendra son cours. Je retrouverai
mes copains. Et Monsieur. Parce que Monsieur n’est jamais malade (donc jamais absent).
Même pas un petit virus de rien du tout. Rien. Un extraterrestre, je vous dis.