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QUEQUE ROI DES BRACONNIERS

 

 

Parfois, à la tombée de la nuit, avec Quéqué chasseur orfèvre, on braconne le lièvre dans la clairière du bois Barjavel. Je devrais plutôt dire le lapin de garenne parce que la prairie est parsemée d’une multitude de petits trous et si vous connaissiez Quéqué, vous sauriez que le lièvre ne creuse pas de terrier mais qu’il gratte légèrement le sol et s’y tapit en solitaire. Son pelage, couleur de terre, lui offre un précieux camouflage. Vous pouvez passer à côté de lui sans même le repérer. En revanche, le lapin de garenne creuse de nombreuses galeries et vit en collectivité. Au crépuscule, Quéqué repère les cavités et pose des collets de sa fabrication à proximité des pétouillers (Quéqué sait que les lapins de garenne marquent leur territoire en déposant de nombreuses crottes pas très loin des ouvertures).

Aussitôt les collets fixés, on regagne la maison et on se languit d’être demain. C’est à peine si on ferme l’œil de la nuit. On dort sans dormir, trop excités et impatients. Au lever du jour, en marche vers le bois, à l’heure où les feuilles des arbres égouttent la rosée du matin et les premiers rayons du soleil caressent la terre fumante des champs, on se réjouit déjà à l’idée de l’énormité des prises.

Malheureusement, question  braconnage, Quéqué, c’est loin d’être Le Chat Botté, capable avec son sac à cordons de prendre lapins de garenne et perdrix. Je ne sais pas comment il fabrique ses pièges mais avec lui, on n’attrape jamais rien. Comble de l’humiliation, dans la brume lointaine qui s’étire en nappes blanches, un petit Jeannot lapin croque de l’herbe puis s’éloigne en trottinant. On dirait qu’il nous fixe du regard comme pour mieux nous narguer.

Je vous jure que si on avait dû compter sur Quéqué pour manger du garenne, on n’en aurait jamais connu le goût. Heureusement, mamie et papi sont amis avec un chasseur autrement plus accompli que lui qui les  ravitaille en petites boîtes de pâté de lièvre chaque automne. Alors, lorsque Philippe et moi, on est réquisitionnés pour peinturlurer en blanc le muret de leur petit jardin à Saint-Nicolas, mamie nous sert ce sublime pâté (avec une portion de frites cuites à la végétaline, s’il vous plaît). Qu’est-ce que c’est bon.

Moi, j’ai chassé une fois. Enfin quand je dis : j’ai chassé, c’est un bien grand mot. J’ai accompagné mon cousin Jean-Marc à la chasse, flanqué de son chien Gipsy et de son père Jacques. Jacques (militaire de carrière) est le mari de Monique qui est la sœur de Gilbert qui est lui-même le fils de Gaston qui est le frère d’Alcide, le père de ma mère. Vous suivez ? Moi, non. C’est normal, j’ai jamais rien compris à tout ça (faut que j’en parle à Jojo pour qu’il m’explique !). En plus de mes problèmes de latéralisation (droite-gauche), les histoires de filiation,  ça n’est pas mon fort non plus.

Figurez-vous qu’un jour, le boucher de Saint-Nicolas m’a demandé qui j’étais par rapport à Eugène Lécaillé. Moi, je savais bien que c’était mon papi mais j’ignorais qui j’étais par rapport à lui. Alors, sans top réfléchir, j’ai lancé au petit bonheur la chance :  « Je suis son cousin. » Qu’est-ce que j’avais pas dit là. Les yeux exorbités du boucher lui sont sortis de la tête ( pareils à ceux d’Olive découvrant que son petit Mimoza a été kidnappé par l’affreux Brutus). Je crois que j’avais dû lâcher une énormité (c’en était une puisque la famille s’en amuse encore aujourd’hui). A propos de papi, j’ai fait pire à son enterrement. Alors que le convoi mortuaire l’accompagnait solennellement à sa dernière demeure  (le cimetière de Maroeuil), quelle ne fut pas ma surprise d’apercevoir son chapeau posé à côté du cercueil. J’ai donné un petit coup de coude à Nanot (qui affichait sa mine de circonstance) pour tenter de comprendre le pourquoi de la chose. Sauf que le chapeau en question n’était pas celui de papi mais celui du croque-mort. Vous auriez vu les naseaux de Nanot.  En une seconde, ils ont commencé à gonfler puis à souffler très fort à l’insu de son plein gré. On aurait dit le ronflement d’une dizaine de machines à vapeur lancées à pleine vitesse. Le Nanot, on l’a quand même entendu rire à dix kilomètres à la ronde.  Rien que du nez. Une seconde avant, il avait pourtant sa tête d’enterrement. Digne et grave. Maintenant, il avait beau poser sa main sur sa bouche et tenter de se contenir, il ne pouvait plus s’empêcher de rire et son rire contagieux se répandit comme une traînée de poudre à l’ensemble des frères et des soeurs. Il ne s’interrompit qu’au franchissement de la grille du cimetière. Je ne vous dis pas la honte. Pourquoi je vous raconte tout ça. Parce qu’à la partie de chasse, on est rentrés bredouilles. Même pas vu une perdrix, ni un lièvre ni une hase. Pas de perdrix, pas de lièvre, pas de hase. Pas de coup de feu (ça y est, j’ai réussi à placer le mot « hase » dans ma très longue rédaction).

 

Le cousin Jacques (qui ne voulait pas rester sur un échec) s’est rattrapé quelques jours plus tard en visant carrément Monique (il avait dû péter les plombs). Dans un réflexe désespéré, Monique tenta bien de le désarmer mais le coup partit. La balle ricocha sur le mur, traversa le plafond avant de se loger dans le berceau du petit Lionel, le dernier-né. Fort heureusement, sans conséquence pour lui. Ce jour-là, c’est notre enfance qui prit du plomb dans l’aile parce qu’à cause de cette  histoire tragique, les cousins s’exilèrent à Pozières. Ce devait être en 1964.