retour

25

 

BÉNONI CARPENTIER

 

 

Bénoni Carpentier, c’est un monument à Achicourt. Un colosse, une montagne, un géant. Imposant et tellement grand qu’il devait se baisser pour franchir la petite porte étroite de la sacristie. Nous, tout petits, petits à côté de lui.

Bénoni a été le curé de la paroisse Saint-Vaast pendant 57 ans (de 1936 à 1993). Il succéda à l’abbé Delfosse à l’âge de 33 ans (l’âge du Christ !) et battit le record de longévité du curé Hatté dont la cure dans la localité dura 49 ans (de 1719 à 1768). Le curé Hatté (ça ne s’invente pas de porter un nom pareil quand on est curé) décéda dans le village à l’âge de 84 ans et fut inhumé dans l’ancienne église.

 

Bâti comme une cathédrale, Bénoni était une véritable force de la nature. Une armoire à glace. Un bloc de granit. Solide comme un roc, il était immense et occupait tout le chœur. Quand il s’avançait vers nous, on aurait dit une montagne en mouvement. S’il impressionnait  par sa haute stature, Bénoni impressionnait aussi  par son talent de tribun. C’était un homme de conviction, un peu cabot sur les bords. Figurez-vous qu’un jour, il sacrifia les peintures qui ornaient le mur entourant le chœur en les recouvrant de lambris, tout ça parce que les tapisseries détournaient l’attention des fidèles quand il cherchait des yeux leur regard (je vous jure que c’est vrai, vous pouvez vérifier sous les lattes). C’est dommage, parce que ces fresques originales (qui immortalisaient la scène de la Cène) constituaient la seule richesse de cette église dépourvue de charme et construite dans les années 1925[1]. L’architecte qui l’avait conçue ne devait certainement pas s’appeler Viollet-le-Duc, le grand bâtisseur de Notre-Dame de Paris (il est d’ailleurs décédé dans un total anonymat).

Bénoni exécrait tellement l’architecture de cette église qu’il implora la bénédiction de Dieu pour que les bombardements de la seconde guerre mondiale la détruisent. Hélas, le Tout puissant n’exauça pas ses voeux. Les bombes s’écrasèrent autour de l’édifice sans jamais l’atteindre.

 

Bénoni avait du Don Camillo dans sa façon de traverser, à toutes jambes, l’allée centrale de l’église pour corriger l’un d’entre nous, surpris à faire le pitre.

Ce dimanche-là, perché en haut de la tribune (sorte de balcon intérieur qui supportait la chorale), Cucu se pencha et fit mine de tomber. Bénoni (véritable tour de contrôle à qui rien n’échappait) s’en aperçut. Son sang ne fit qu’un tour. Il abandonna son autel, fonça tête baissée vers le porche, grimpa quatre à quatre l’escalier en colimaçon conduisant au perchoir, fractura la porte et tomba à bras raccourcis sur Cucu. Je crus un court instant que Cucu allait recevoir son dernier sacrement. L’offrande tomba du ciel. Implacable. Une énorme baffe qui lui fit faire un tour complet et résonna dans toute l’église. Je suis sûr que Cucu en porte encore aujourd’hui les stigmates sur la joue droite. Cucu accusa le coup, retint ses larmes et serra les dents. Il n’avait pas encore ravalé sa salive que déjà Bénoni déployait sa grande carcasse devant l’autel en tendant ses immenses bras vers le ciel et en proclamant : « Allez dans la paix du Christ. » « Nous rendons grâce à Dieu » qu’il a dit Cucu.

 

On ne pouvait pas dire que Bénoni avait fait l’école du cirque, il était plutôt à cheval sur les principes. Du genre rigide pour ne pas dire sectaire. Il pouvait entrer dans des rages folles.  Comme Monsieur, d’ailleurs. Pour qui manquait de repères, ces deux fortes personnalités au caractère bien trempé faisaient vraiment la paire. Ils étaient stricts dans la discipline, une discipline toute militaire et si t’avais le malheur de bifurquer du droit chemin, ces deux-là te remettaient les idées bien en place.

 

Pour Bénoni, avant l’heure, c’était pas l’heure et après l’heure, c’était le…heurt  obligé avec les retardataires. Une communiante qui arrivait une minute en retard à sa messe de communion se tapait la honte jusqu’à la fin de ses jours. Remonté comme une pendule, Bénoni te la sermonnait devant toute l’assemblée médusée et humiliait la famille entière pour dix générations. Quand il se lançait dans sa véhémente diatribe, chacun se tassait et se rapetissait. Heureusement, le malaise ne durait pas longtemps, Bénoni se faisant pardonner ses excès d’humeur en adressant rapidement des éloges enthousiastes et chaleureux à toutes les mamans présentes, y compris à l’égard de la mère incriminée. Faut dire que Bénoni excellait dans l’art de souffler le chaud et le froid.

 

Le jeudi, après le catéchisme, c’était répétition générale pour les enfants de chœur. Bénoni nous enseignait l’art de servir la messe. Marcher droit comme un I (ou comme un BénonI) était la première des exigences requises. Pour y parvenir, on répétait inlassablement le même pas : une fois, deux fois, trois fois, en démarrant de la sacristie. Sapristi ! Il fallait réagir au doigt et à l’œil et parfois même au claquoir. Un coup de claquoir sec : on se levait. Deux coups : on saluait. Le privilège de jouer du claquoir revenait aux enfants de chœur les plus âgés, c’est-à-dire aux frères Havet (s’ils avaient eu une sœur, moi je l’aurais bien appelée Maria!). Parfois, devant nos atermoiements, Bénoni, tatillon et perfectionniste comme pas un,  piquait des colères folles. Alors, ses immenses oreilles d’un violet foncé semblaient pomper tout le sang de son corps. De grosses gouttes de sueur perlaient sur son visage qu’il épongeait mécaniquement avec un mouchoir blanc, plié en quatre. Et puis, il mimait à la de Funes nos errements en les caricaturant et concluait sa prestation en nous traitant d’imbéciles dans le meilleur des cas et de crétins dans le pire.

Là encore, il se faisait pardonner ses écarts de langage en nous envoyant dévaliser Quinquin. C’était du pain béni pour le petit épicier du coin qui réalisait, à cette occasion, un chiffre d’affaire d’enfer. Avec la bénédiction de Bénoni, on le pillait en sucreries de toutes sortes : sucettes, carambars et malabars … (moi j’aimais bien les malabars pour les tatouages en décalcomanies sur les poignées). En contre partie, les jours de grandes cérémonies  (mariages et enterrements), Quinquin assurait la quête à l’église dans son costume noir corbeau et l’argent recueilli dans les paniers d’osier était destiné aux bonnes oeuvres de la paroisse.

 

Question bonbons : Quinquin (Monsieur Crépin de son vrai nom) était en concurrence directe avec la confiserie-pâtisserie de Monsieur Payen. Son atout majeur à Quinquin : l’emplacement stratégique de son magasin. Tu ne pouvais pas mieux rêver. Juste en bas des écoles, en face de l’église et à deux pas du Monument aux Morts (pour la distribution des friandises du 11 novembre). Son deuxième atout : l’accord tacite signé avec Bénoni. Le troisième, c’est que ses bonbons étaient vachement visibles du dehors, histoire de t’appâter à la sortie de la messe. Le nez collé au carreau, on faisait déjà nos provisions avant de pénétrer dans la boutique super achalandée.

Sitôt qu’on poussait la porte à grelots, Madame Crépin jaillissait du long couloir reliant sa cuisine au magasin et fonçait droit sur nous, telle une araignée sur sa proie. Elle devait être montée sur ressorts pour gicler de sa boîte aussi vite qu’une diablesse. A voir ses yeux sombres, elle te suspectait avant d’entrer que tu pouvais lui piquer des bonbons. Pour elle, t’étais déjà le coupable idéal. Pourtant, c’était pas facile d’en chourer parce qu’une espèce de fermeture grillagée (pareille à celle du garde-manger de la cave) séparait nos mains chapardeuses des friandises. Lorsque c’était Quinquin qui servait, elle te surveillait, bras croisés derrière lui, prête à bondir. Pas besoin de portique électrique, son œil avisé suffisait. C’est fou comme la confiance régnait. Pour peu, à la sortie, elle t’aurait effectué la fouille au corps intégrale. Nous, on la soupçonnait d’être membre du KGB. Moi, ça ne m’aurait pas étonné qu’elle connaisse Brejnev et Léon Zitrone. D’ailleurs, son fils, quand tu voulais le corrompre pour obtenir un bonbon gratis, il te disait : « Niet ! »,  comme un vrai soviet. Parfois, quand tu pénétrais seul dans son magasin, Madame Quinquin se planquait derrière son comptoir pour surveiller si t’allais pas lui chiper une ou deux sucettes piquantes, rouges et bleues.

 

La confiserie-pâtisserie de Payen était plus spacieuse mais beaucoup moins bien située. Place Jean Jaurès. Le hic pour Payen, c’est que chez lui, tu ne repérais pas facilement les bonbons du dehors et surtout  y avait pas d’chucs à un centime. Un sacré handicap ! Et puis, dans son magasin, tu ne t’y sentais pas à l’aise. Je ne sais pas pourquoi, on aurait dit qu’il était fait pour les grandes personnes (un peu fortunées). C’était froid, immense et t’osais pas bouger. Son dernier handicap : son nom à Payen. Avec un nom pareil, il ne pouvait pas être en odeur de sainteté avec Bénoni (malgré ses hosties sucrées qui fondaient savamment dans la bouche). Le plus pour Payen, c’étaient ses pochettes-surprises, ses meringues (même si elles collaient aux dents), ses éclairs au chocolat et ses… religieuses ! Dé-li-cieuses (je crois qu’elles auraient bien plu à Bénoni !).  J’aimais bien aussi la mollesse de ses guimauves. J’évitais surtout ses millefeuilles. Les millefeuilles, c’est comme les mille-pattes. Si les mille-pattes, on ne sait pas comment les attraper, les millefeuilles, on ne sait pas comment les manger. J’en prends pas à cause de ça. A côté : avaler un éclair au chocolat, c’est du gâteau. Comme les mille-pattes n’ont pas mille pattes, y a pas mille feuilles dans un millefeuille et c’est tant mieux parce qu’avec ces couches alternées de pâte feuilletée et de crème pâtissière, pour le manger, c’est pas de la tarte. T’as pas encore croqué dedans que ça dégouline de partout (comme la confiture des Frères Jacques). Après, t’as plus qu’à lécher avec les doigts.

Payen portait bien son prénom : Prosper. Parce qu’il a dû sacrément en vendre des gâteaux pour se payer le bois de derrière chez Nanot et Nanine, qu’on y repère parfois des écureuils  courir de branche en branche avec une vivacité hallucinante. Quand je vais prendre le café chez eux, ils s’aventurent à proximité de la baie vitrée et grignotent les noix que Nanine leur déposent délicatement au pied des pommiers. Quand j’étais petit, je pensais que le bois abritait des biches et des chevreuils. Je ne sais pas où je suis allé chercher ça. Dans ma tête de gosse, peut-être. Quand on est gosse, on aime bien s’inventer un monde à soi, peuplé de possibles et d’invisibles. Monsieur Payen a eu deux enfants : un garçon et une fille. Même que la fille d’un marchand de bonbons, petite fille de français moyen, ça peut devenir Sheila et chantait Bang bang (moins bien que Petula Clark néanmoins).

 

Le dimanche, quand on servait la messe, notre hantise était de s’empêtrer les pieds dans l’aube dès qu’on montait les marches en marbre du chœur et d’effectuer un vol plané. Avec Bénoni, c’était pas bon d’utiliser son joker d’entrée. T’avais plus droit à l’erreur. Alors après, lorsqu’au pas de charge, il aspergeait d’eau bénite l’air ambiant ou embaumait l’autel de l’odeur âcre de l’encens, t’avais plutôt intérêt à suivre la cadence en évitant le pas de travers. Il pressait tellement l’allure que t’avais peine à lui agripper le morceau de chasuble. Quand tu lâchais prise, tu recevais un chapelet de gros mots qu’il égrenait rien que pour toi.

Avant les grandes cérémonies, Cucu avait le chic pour enfoncer profondément ton cierge dans le pic. Pour le retirer, c’était la croix et la bannière. Comme tu bloquais dessus, tu recevais les foudres de Bénoni qui trépignait d’impatience. Après, il fallait résister aux brûlures de la cire coulant douloureusement sur les mains.

 

Près de l’autel et à coté de lui, moi, tout petit, petit. Lui, baragouiner des mots en latin. Moi, suivre des yeux et tourner les pages du livre sacré. Parfois, en retard. Alors, Bénoni profitait de la génuflexion qui l’éloignait des regards des fidèles et que t’exécutais en parfaite harmonie avec lui  pour te traiter de… « crétin » (encore). C’était son injure préférée.

 

Le Bénoni était capable de te faire une montagne d’un petit grain de sable et  de piquer des crises folles pour des queues de cerise. Il chicanait, chipotait, chinoisait pour rien. Même la clochette que t’agitais lors de l’élévation pour que les fidèles inclinent la tête, il fallait la secouer de telle façon qu’elle résonne selon sa  volonté. Si t’avais le malheur d’être mollasson ou bien trop long, il te sonnait les cloches ou te secouait les puces (ça revenait au même !). Et ce, à grands renforts de postillons  (d’ailleurs, si l’épreuve du lancer de postillons avait été une discipline olympique, le Bénoni aurait gagné la médaille d’or pour la France  pendant au moins dix Olympiades).

Quand ta prestation l’avait convaincu (ça arrivait), avec un large sourire qu’on y voyait même scintiller sa dent en or, il te disait : « A la bonne heure ! »  C’était son expression favorite. Comme celle de marteler : « On n’adore que Dieu » lorsque t’avais le malheur de dire que t’adorais tout simplement la vie.

 

A un moment de la messe, l’un d’entre nous lisait l’évangile posé sur le lutrin : « Suiteux du Saint-Evangileux, selon Saint Mathieu. En ce temps-là, les pharisiens tinreux conseil pour trouver un moyen de prendreux Jésus au piègeux… » Je ne sais pas pourquoi mais avec Bénoni, il fallait appuyer sur tous les « e » finals, sinon tu te faisais appeler Arthur. Moi je l’aurais bien appelé Adolphe (j’exagère).

 

Parfois, il trônait sur son fauteuil de roi comme un vrai pacha. On l’aidait à s’asseoir en lui soulevant sa cape avec des manières faites pour un seigneur. Engoncé dans son fauteuil, il fermait profondément les yeux et quand Bénoni fermait les yeux, c’était qu’il était en correspondance directe avec Dieu (au plus haut des cieux). Après, il reprenait le cours de la messe, ragaillardi. Parfois, il se mettait  à genoux. Eh bien, même à genoux, il était plus grand que nous.

 

Moi, j’aimais bien quand on commençait à préparer tout le tintouin pour la communion. On lui présentait les burettes d’eau et de vin blanc et le linge pour qu’il s’essuie les lèvres (je ne sais plus très bien dans quel ordre). A un moment donné, il brandissait l’hostie géante en la dirigeant vers le ciel et la cassait en deux. Puis il levait le calice en disant : « Buvez en tous, ceci est mon sang » (peut-être croyait-il qu’on était comme Philippe, tous des vampires ). Quand on agitait les clochettes, Bébé Cadum scrutait l’assistance pour vérifier si tous les fidèles inclinaient bien la tête.

Bébé Cadum, c’était comme qui dirait le sacristain  (Moumoute qu’on l’appelait aussi). Il était très déférent envers Bénoni. Si vous voulez mon avis, son respect profond de la hiérarchie le confinait un peu à la soumission. Le petit doigt sous la couture du pantalon. Il paraît qu’au petit déjeuner, il beurrait même les tartines à Bénoni. Bébé Cadum, avec sa mine patibulaire, on aurait dit qu’il portait toute la misère du monde sur ses épaules et qu’il était responsable de la Terre entière (après coup, je me demande s’il n’était pas le fils naturel de l’Abbé Pierre et de Sœur Emmanuelle).

Au moment de la communion, les bouches s’entrouvraient et les langues se tendaient devant Bénoni qui présentait l’hostie en disant : « Le-corps-du-Christ » Moi, je préférais l’hostie de chez Monsieur Payen, beaucoup plus sucrée. J’aimais bien la communion parce que ça voulait dire que la messe était bientôt finie. Dans l’église, ça commençait sérieusement à remuer des pieds. Moumoute n’aimait pas trop alors il mitraillait les impatients du regard.

A la fin de la cérémonie, Bénoni prononçait quelques phrases de conclusion du genre : « Allez dans la paix du Christ » (« nous rendons grâce à Dieu » qu’on répondait. Tiens, voilà que ça me revient) puis il se dirigeait vers la sacristie.

Après s’être débarrassé de ses accoutrements, il réapparaissait sous le porche, quelques secondes plus tard, et raccompagnait ses ouailles sur le parvis de l’église. Il serrait des mains, complimentait les uns, chuchotait des mots gentils aux oreilles des autres et riait de bon cœur en disant : « A la bonne heure ! » On aurait dit un homme politique en campagne  électorale sur un marché, le samedi matin. Tout juste s’il ne signait  pas des autographes à la place de la Sainte-Vierge.

 

Parfois, après l’office, accompagné par un enfant de chœur, il se rendait au baptistère pour célébrer le baptême d’un nouveau-né. Sourire aux lèvres, il accueillait l’heureuse famille en lançant des paraboles du genre : « Bienvenue au petit, des bougies se consument, d’autres s’allument, c’est la vie. » Les parents étaient aux anges. La marraine intimidée et le parrain (profil acné) entouraient affectueusement le petit enfant ligoté, garroté, emmailloté et dégoulinant de sueur.

Bénoni lui oignait le front (c’est comme ça qu’on dit), les narines et les oreilles d’huile consacrée et de saint-chrême. Il posait quelques grains de sel sur ses lèvres et versait un peu d’eau lustrale sur son front. Il y traçait la sainte croix en murmurant quelques mots sur le ton de la confidence. Le petit, qui pigeait que dalle, arborait une mine de renfrogné.

 A la fin de la cérémonie, la marraine et le parrain offraient à l’enfant de chœur, un cornet de dragées avec une pièce de cinq francs toute brillante à l’intérieur. Puis ce joli petit monde se dirigeait vers la sortie. Bénoni saluait une dernière fois l’heureuse famille. Nous, on attendait impatiemment que les parrains et marraines jettent des sous et des dragées, par poignées, sur le parvis pour se les disputer (paraît que ne pas souscrire à cette tradition attirait le malheur sur le nouveau-né). On s’abattait dessus comme une volée de moineaux sur des miettes de pain. Moi, je tenais la dragée haute aux plus grands en faisant main basse sur les dragées rondes au chocolat et les dragées ovales avec de la liqueur à l’intérieur (les meilleures).

 

Dans les grandes occasions (communions et messes de minuit), Bénoni recevait le renfort du Père Aloïs qui abandonnait, pour la circonstance, l’orphelinat  du Père Halluin. Je dois reconnaître que Bénoni a toujours été le titulaire indiscutable de la messe du dimanche. Beaucoup plus petit que lui,  le père Aloïs n’a jamais pu lui voler la vedette.  Aloïs était bon et gentil avec nous. Ca ne le gênait pas trop de se faire remonter les bretelles par Bénoni.

En cas d’indisponibilité du maître des lieux (c’était exceptionnel), le Père Aloïs célébrait la messe tout seul. Alors là, il baragouinait en latin-français-polonais un charabia incompréhensible et nous fichait une paix royale. C’était apaisant mais ennuyeux. Bénoni devait avoir ses espions. Quand le père Aloïs n’avait pas été bon, il recevait son sermon le dimanche suivant. Je soupçonnais Bébé Cadum et me disais que le Bénoni ne l’emporterait pas au paradis. Je pensais même qu’il irait tout droit en enfer, qu’il tomberait dans un chaudron brûlant, persécuté par des diables cornus à la queue fourchue et qu’il aurait très, très mal.

 

Moi, je retiens le prénom d’Aloïs parce que c’est aussi celui d’Alzheimer (si je l’oublie un jour, c’est que je commencerai à faire Alzheimer. Vous aussi ! Vous avez intérêt à le retenir).

 



[1] En remplacement de  l’église, bâtie dans l’ancien cimetière et détruite pendant les bombardements de la guerre 14-18.